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Le trou noir du syndicalisme



 
Chacun se souvient de la très discrète, affligeante et nébuleuse réunion du L20 (Syndicats) - B20 (Patronat) - G20 (Chefs d’Etats et de Gouvernements) tenue à Nice début novembre 2011. Curieusement, ce rassemblement hétéroclite organisé en marge du G20 n’a fait l’objet d’aucun compte rendu public (article publié sur ce site le 3/12/11)
Nous étions en droit d’espérer qu’il s’agissait d’une bourde syndicale qui ne se reproduirait pas.  
C’était sans compter avec le zèle de la Confédération Européenne des Syndicats et son tropisme pour le partenariat social.
La situation des salariés dans l’Europe des 27 devrait-elle encore se dégrader pour qu’enfin la C.E.S. et ses composantes décident d’aller au-delà des douillettes déclarations de principe ?
Faut-il que le chômage s’aggrave encore, pour qu’enfin des actions fermes de solidarité ouvrières soient organisées ? (22 785 000 chômeurs dans l’Europe des 27 – 15 739 000 dans la zone euro, dont un chômage des jeunes à 25 % et des pointes record  à 46 % en Espagne et 43 % en Grèce) - source Eurostat 2011 -
La guerre aux acquis sociaux menée par la troïka, Commission Européenne - Banque Centrale Européenne - Fond Monétaire International, avec la complicité des Etats,  ne serait-elle pas suffisamment évidente pour déclencher la riposte ?
Les purges sociales imposées à nos camarades grecs, espagnols, italiens, portugais entre autres, ne seraient-elles que de simples péripéties ?
Jugez vous-même.
Grèce
Depuis 2008, la Grèce cumule 9 plans d’austérité, conduisant les travailleurs grecs à empiler six grèves générales en 2011 !  La dernière a eu lieu le 6 février 2012.
Le dernier plan d’austérité prévoit :
- une nouvelle diminution du salaire minimum, passant de 751 € à 586 €,
- un abattement supplémentaire de 30 % sur le salaire des nouveaux embauchés,
- l’abrogation des conventions collectives,
- la suppression de 15 000 fonctionnaires dès cette année et 150 000 d’ici 2015,
- des coupes claires dans les allocations sociales etc... etc...
Ces 9 plans d’austérité conduisent à l’explosion du nombre de sans-abri. Les classes moyennes sont désormais touchées, leur revenu a baissé de 40% au cours des deux dernières années.
Ce terrible matraquage social a pour drame le doublement du nombre de suicide, en deux ans !!!
Espagne
La situation économique et sociale de l’Espagne n’est pas très éloignée de celle de la Grèce.
Les jeunes travailleurs et étudiants espagnols ont été les premiers à se mobiliser. Pendant plusieurs semaines, par milliers, ils ont occupé la Puerta del Sol à Madrid ainsi que la Plaça Catalunya à Barcelone. Leur action a pris le nom de « Los Indignados »
Le 19 février 2012, des milliers de travailleurs (500 000 à Madrid – 400 000 à Barcelone – 150 000 à Valence – 50 000 à Séville) ont manifesté à l’appel de l’UGT et des Commissions Ouvrières pour protester contre la 6ième réforme du marché du travail qui prévoit :
- un nouveau contrat de travail de 3 ans dont une période d’essai d’un an, pour les entreprises de moins de 50 salariés (soit plus de la moitié des salariés espagnols),
- une réduction drastique de l’indemnité en cas de licenciement abusif,
- la suppression des critères économiques pour opérer des licenciements, qu’ils soient individuels ou collectifs,
- la non application des conventions collectives, à l’unique discrétion des employeurs
- la modification du contrat de travail en termes de salaires, de temps de travail, d’horaires et de lieu à la seule décision de l’employeur.
Le secteur public n’échappe pas à cette austérité. Toute liberté  est donnée aux administrations publiques de procéder à des licenciements.
Cependant, les travailleurs espagnols n’abdiquent pas. Par millions, ils ont manifesté le 11 mars et à l’appel de l’UGT et des Commissions Ouvrières, ils seront de nouveau en grève générale le 29 mars.
 
Les plans d’austérité n’ont pas été décidés qu’en Grèce et en Espagne.
En Grande-Bretagne, deux millions de fonctionnaires britanniques ont répondu le 30 novembre 2011 à l’appel de leurs syndicats pour s’opposer à la réforme des retraites du secteur public.
L’Italie ne vit pas une situation sociale meilleure.
Les travailleurs s’organisent. Les camionneurs étaient en grève le 21 janvier 2012. L’ensemble des salariés s’opposent en permanence aux réformes conduisant à  encore flexibiliser l’organisation du travail.
Au Portugal, de nombreuses manifestations se déroulent depuis plusieurs mois. Celle du 4 octobre 2011 vit 130 000 manifestants à Lisbonne – 50 000 à Porto.....
En Belgique, c’est à l’appel de trois organisations, la FGTB, la CSC et la CGSLB que le 22 décembre de très nombreux salariés ont manifesté leur opposition à la réforme des retraites
- dont le report de 60 à 62 ans pour l’âge de départ, s’ajoutant à l’exclusion des périodes de formation et des congés de maternité pour le calcul de l’ancienneté.
Cette journée du 22 décembre faisait suite à celle du 2 décembre organisée contre l’austérité. Elle précédait la grève générale du 30 janvier 2012.
 
La montée d’une effervescence sociale dans toute l’Europe est une réalité concrète, y compris en Allemagne où les salariés et leurs syndicats n’en peuvent plus des sacrifices qui leur sont imposés depuis plus de dix ans. Début mars, des rassemblements et des arrêts de travail d’avertissement ont été organisés.
 
En marge des mobilisations locales et nationales de salariés, les technocrates de la commission de Bruxelles turbinent.
Ils ne lâchent pas le morceau sur la question des retraites.
Le 14 février 2012, ils ont rendu public un livre blanc.
En une seule phrase, ce livre blanc précise ses intentions « Il est plus urgent que jamais d’adapter les systèmes de retraites aux évolutions économiques et démographiques »
En clair, la commission fait l’apologie des fonds de pension et propose d’intégrer la capitalisation dans la réglementation européenne.
Tout en déclarant de manière honteusement hypocrite que, bien évidemment, les Etats sont libres de leur choix en matière de retraite, le commissaire chargé des affaires sociales, le socialiste hongrois Laszlo Andor précisa « il existe des principes qui s’imposent clairement dans toute l’Union Européenne »
A bon entendeur salut !
Face à cette ignoble entreprise de démantèlement du pacte social, les Etats ne sont pas en reste.
- En Allemagne, l’Institut Max Planck prévoit la retraite à 72 ans en 2050.
- La République Tchèque précise que les enfants naissant actuellement prendront leur retraite à 73 ans.
- Quant à la Suède, honteusement qualifiée de modèle social, la retraite à 75 ans est un objectif déclaré.
On se croirait sur un marché aux enchères.
Pour la France, l’avenir social ne paraît pas plus réjouissant. Il faut craindre que les deux plans de rigueur ne soient que le seuil de mesures d’austérité futures.
Qui peut ignorer que l’actuelle période préélectorale freine les ardeurs des pourfendeurs des acquis sociaux ?
Les intentions sont clairement affichées avec le projet de loi Warsmann qui est un véritable arsenal de destruction de notre droit du travail allant de la fragilisation du contrat de travail au régime spécial pour les TPE en matière de Santé et de Sécurité au Travail en passant par une simplification du bulletin de paie qui risque de se traduire par une illisibilité totale en matière de versement de cotisations sociales patronales.
Que nous réservent, en finalité, les négociations dites de « contrat de compétitivité » qui ont pour objectif de donner aux employeurs toute liberté de décider unilatéralement du niveau de salaire et du volume d’heures de travail, pour chaque salarié, en fonction du carnet de commandes ?
Par ailleurs, croire que la régression sociale imposée par les gouvernements des pays voisins n’aura pas d’incidence sur l’économie et le social de l’hexagone est une faute. Le dumping social ne sera pas qu’entre nous et les ex pays de l’Est mais entre nous et l’Espagne, entre nous et le Portugal, entre nous et l’Italie, etc..., etc...
Face à cette guerre menée par le capital contre le travail, l’attitude de la C.E.S. et des syndicats français est incompréhensible et consternante.
Certainement pour ne pas rompre avec la quasi-tradition, la C.E.S. décida d’une journée de mobilisation le 29 février, veille du sommet européen des 1er et 2 mars.
Ce sommet avait pour principale mission la ratification, par les Etats membres de l’Union, du nouveau traité imposant une règle d’or budgétaire dont la ligne de force est constituée par l’obligation de contenir un déficit structurel inférieur à 0,5 du PIB. Ce sommet avait également pour objet de transformer la Cour de Justice Européenne en organe policier chargé d’imposer des sanctions financières aux Etats ne respectant pas le nouveau traité.
Face à ces mesures liberticides, l’attitude léthargique de la C.E.S. est affligeante.
En premier lieu, il faut souligner le côté insipide de la déclaration du 29 février  postée sur le site de cette organisation : « Nous sommes (la C.E.S.) convaincus que les propositions du traité affaibliront l’Europe au lieu de la renforcer. Le nouveau traité réduira le soutien de la population pour l’intégration européenne, ralentira la croissance et augmentera le taux de chômage. »
Mais à l’inverse, ces quelques mots éclairent parfaitement la ligne politique de la C.E.S. et le rôle qu’elle joue dans le concert technocratique de la construction européenne. En fait, la nébuleuse et très ambiguë C.E.S. milite pour l’intégration européenne c'est-à-dire le fédéralisme et donc la fin des Etats.
Son comportement est davantage celui d’une O.N.G. au service de la commission européenne, que celui d’une organisation syndicale chargée de coordonner des rapports de force pour la défense des intérêts matériels et moraux des travailleurs.
On comprend assez vite pourquoi « ce robinet d’eau tiède ». En fait c’est l’œuvre de la technostructure de la C.E.S., le comité directeur. Il y a fort à parier que le dernier bleu de travail enfilé par les membres de ce comité ne date pas d’hier !
Ce 29 à Bruxelles, selon les médias entre 200 à 300 personnes étaient rassemblées sous la bannière de la C.E.S., de quoi faire trembler les partisans de l’austérité !
En France, seules trois organisations ont appelé à manifester le 29 février, mais avec quelle motivation ? En réalité, sur le terrain ce fut le grand désert, excepté quelques rassemblements sporadiques émanant surtout de sites en proie à des fermetures d’entreprises.
La volonté des autres n’avait rien de plus motivant. Certaines se sont fendues d’un tract qui apparemment n’a pas franchi la porte des permanences, d’autres ont déclaré que la France n’était pas la Grèce !!!
Vive la solidarité aux petits pieds.
Puis on a entendu des propos surréalistes.
Il ne faudrait pas manifester en cette période pré-électorale pour ne pas risquer d’être instrumentalisés.
Curieux aveu de faiblesse que de penser ne pouvoir résister à des possibles tentatives de récupération électorale.
A moins qu’il ne s’agisse d’une peur d’être débordés par des salariés qui n’en peuvent plus d’être pressurés.
En fait, ce raisonnement n’est pas nouveau.
Il faut se rappeler qu’au printemps 2005, les organisations syndicales françaises avaient mis un terme à l’action qui se développait notamment sur les salaires pour ne pas relayer le mécontentement qui montait chez les salariés. La peur d’alimenter le « non »  au référendum sur le T.C.E. hantait une majorité d’organisations syndicales.
Sans prétendre lire dans la boule de cristal, si cet état d’esprit n’évolue pas, on peut aisément imaginer ce qui va se passer dans les mois qui viennent : neutralisation de l’action syndicale jusqu’au 2ième tour de la présidentielle, puis rebelote avec les législatives. Nous serons alors entrés de plein pied dans les congés annuels.
Au retour de septembre,  il est possible qu’il nous soit demandé d’être magnanime à l’égard du Président élu ou réélu afin de lui laisser le temps de faire ses preuves !!!
 
Ne soyons pas crédules, tout ce temps sera mis à profit par les tenants du capital pour organiser la poursuite de la régression sociale, la paupérisation d’une partie toujours plus grande de la société au profit d’une caste qui ne cesse de s’enrichir.
Alors, combien de temps faudra t’il encore attendre pour que les technostructures syndicales mettent de côté leurs bisbilles pour enfin prendre en charge les intérêts matériels et moraux des salariés ?