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De la Normandie à la Fabiusie



 
Pour bon nombre d’intellectuels, sociologues-politologues, plus de deux siècles après la grande révolution, une forte majorité de Français, du peuple aux élites, ne s’est toujours pas affranchie des mœurs de l’Ancien Régime.
La nostalgie de la monarchie et de ses monarques est encore très présente. Il est même permis de s’interroger si, inconsciemment, elle ne serait pas entrain de se renforcer dans la France profonde.
Il est vrai que l’esprit et la lettre de la 5ième République conduisent à ce retour en arrière idéologique, stoppant ainsi la transition des individus de l’état de sujets de sa majesté à celui de citoyens de la République.
L’utilisation du suffrage universel pour élire le Président de la République fait de l’hôte de l’Elysée « l’homme providentiel, protecteur de ses sujets »
Ne parle t’on pas de l’« Etat providence » ?
 
Une Constitution monarchique
L’actuelle Constitution, écrite sur mesure pour un homme qui n’avait pas une grande estime pour les partis, est l’outil idéal pour la pratique du pouvoir personnel. Les nombreuses réécritures intégrées depuis 1958 n’ont fait que renforcer ce pouvoir personnel.
En sous-main, c’est le Président de la République qui préside le Parlement.
Sauf en cas de cohabitation, peu probable avec le quinquennat, il est le chef de la majorité parlementaire, il a donc la haute main sur l’ordre du jour du Palais Bourbon. C’est encore plus vrai avec la prédominance de l’élection présidentielle sur les législatives.
Le Palais Bourbon ayant constitutionnellement le dernier mot, le pouvoir personnel est totalement dans les mains du titulaire de l’ancien Hôtel d’Evreux.
Pour parfaire cet état monarchique, les faiseurs d’opinion que sont l’immense majorité des médias, relaient l’argument selon lequel la campagne présidentielle est le rendez-vous d’un homme ou d’une femme avec le peuple, confirmant que les législatives ne sont « qu’une garniture politique » du pouvoir central.
 
Vers un retour des pouvoirs provinciaux
Mais, historiquement, le pouvoir monarchique n’a pas de légitimité sans les pouvoirs provinciaux.
Alors, depuis une bonne trentaine d’années, des mesures législatives ont, plus ou moins, remis en selle l’esprit provincial et ses pratiques.
Après les épisodes sur la régionalisation : échec du référendum de 1969, promulgation des lois Mauroy-Deferre de 1982, la création des communautés de communes et d’agglomérations du début des années 1990 marqua un vrai tournant vers cette provincialisation.
L’objet n’est pas de s’opposer au regroupement pour la gestion d’activités spécifiques comme le traitement des déchets, le transport collectif, la voirie locale, d’ailleurs auparavant gérées par des syndicats à vocation multiple, mais de stigmatiser la quasi fusion des communes, surtout celles créant les agglomérations.
A partir du moment où ladite communauté s’empare des compétences économie et habitat, il n’y a pas besoin d’être diplômé de Sciences-Po pour deviner que les communes-pivot s’organisent pour tirer profit de ce regroupement. D’autant que les dotations globales de l’Etat sont proportionnelles au nombre d’habitants.
Ainsi, s’opère insidieusement la reconstruction des provinces et des duchés.  Des petits potentats réapparaissent ici où là.
Pour dénommer les « agglos » la plupart du temps les noms des villes-pivot sont repris et précédés du qualificatif « Grand », très souvent ce sont  les Maires des villes-pivot qui président les agglos.
 
Réforme des Collectivités Territoriales
Puis après la loi de décentralisation de 2003 dite Acte 2, c’est la loi de Réforme des Collectivités Territoriales du 16 décembre 2010 qui donna un violent coup d’accélérateur à cette « provincialisation »
Je fais l’impasse, provisoirement, sur la fusion de certaines communautés de communes, dont l’application est ajournée, mais hélas, pas abandonnée.
Ce qui m’importe aujourd’hui, c’est le volet « Pôle métropolitain » de cette loi.
Celle-ci prévoit la possibilité de regrouper plusieurs EPCI, Etablissement Public de Coopération Intercommunale. Dès qu’un regroupement atteint au moins 300000 habitants, cette nouvelle entité reçoit l’appellation de « Pôle Métropolitain »
Les écuries politiques (principalement UMP – NC – PS) ont vu dans cette évolution l’occasion de nouvelles joutes. Leurs pur-sang se sont placés dans les stalles de départ, et la Haute-Normandie n’a pas échapper au phénomène.
De là à penser que pour Laurent Fabius, ancien Premier Ministre, Député de Seine-Maritime et Président de la CREA - Communauté d’Agglomération Rouen-Elbeuf-Austreberthe, mais aussi éternel candidat manqué à la Présidence de la République, il y aurait une opportunité politique à saisir, il n’y a qu’un pas que beaucoup n’hésitent pas à franchir.
Ainsi, la compétition est lancée pour devenir le Président du plus important Pôle Métropolitain de France, ou tout au moins figurer dans le peloton de tête.
Pour reprendre une expression populaire « faute de merles, on mange des grives » !!!
Mais voilà, la seule CREA compte au mieux 494000 habitants, trop peu pour jouer dans la cour des grands. Il fallait donc  rechercher les moyens de la « volumiser ».
Pour le Président Fabius et son entourage, la solution passait par l’agrégation d’une communauté voisine. La communauté d’agglomération Seine-Eure (CASE) peuplée d’un peu plus de 60000 habitants était toute désignée pour faire l’appoint.
Alors, depuis quelques mois, les tractations vont bon train entre les équipes dirigeantes des deux entités.
En fonction des humeurs, l’objectif est soit de réaliser des coopérations, soit de fusionner les deux entités. A ce jour il semble que la prudence soit de mise en se limitant à la coopération !!!
Mais, n’en doutons pas, le but est bien la fusion pour reconstituer de fait une sorte de duché des temps modernes. Il pourrait prendre le nom de « Fabiusie »
 
Déménagement du territoire
Là aussi, l’aspect dotation de l’Etat ne laisse pas indifférent les protagonistes de cette affaire.
Curieusement, il semble que l’écume politicienne intéresse davantage les chroniqueurs locaux que les véritables incidences de la construction des ces « Pôles Métropolitains »
Les compétences dévolues à ces mastodontes ne sont pas mineures, puisqu’on y trouve l’économie, le transport et le tourisme. Or, aujourd’hui, ces compétences sont de la responsabilité de la région et pour une part des départements.
Si les « Pôles Métropolitains » se créaient, à n’en pas douter, ce serait la fin de l’égalité républicaine des territoires.
La compétition serait féroce entre ces entités économiques, elle serait la seule et unique motivation.
Déjà, elle s’engage entre les Pôles de Nantes, de Montpellier, de Lille ... et plus près de nous de Caen.
Face à ce démantèlement du territoire, où la puissance serait le seul critère qui vaille, il est consternant que ceci ne soit pas relevé.
 
Menaces pour les départements et la région
En Haute-Normandie, que deviendrait le département de l’Eure avec ses 572000 habitants, amputé des 61000 résidents de la CASE ? A-t-on réfléchi aux dégâts économiques et sociaux que subirait le département de l’Eure, amputé de l’une de ses plus grosses zones d’activités dont l’important secteur pharmaceutique ?
L’Eure deviendrait une collectivité inférieure au Pôle Métropolitain Rouennais.
Mais la Seine-Maritime n’en serait pas moins épargnée.
Le temps n’est pas si éloigné où le Maire du Havre, président de la CODAH (Communauté d’Agglomération Havraise), ambitionnait de créer une entité économique autour de l’estuaire.
Déjà il faisait fi des limites départementales et régionales puisqu’à la CODAH se seraient jointes les parties euroises et calvadosiennes de l’estuaire.
Sachant que la CODAH compte environ 260000 habitants, la Seine-Maritime se trouverait elle-aussi amputée d’autant.
Dans l’hypothèse qui est loin d’être d’école, puisque le microcosme politique havrais remet actuellement l’ouvrage sur le métier, l’apparition de  deux pôles, l’un autour de Rouen, l’autre autour de Le Havre, la Seine-Maritime perdrait l’essentiel de ses activités économiques :
-         d’abord portuaire avec Le Havre premier port français pour son trafic containers et Rouen premier port céréalier d’Europe
-         puis industrielle, car de fait, c’est la vallée de la Seine qui s’expatrierait vers d’autres cieux.
Que deviendrait le département de la Seine-Maritime aujourd’hui peuplé de 1245000 habitants dont près de 800000 lui seraient arrachés ?
Quant à la collectivité régionale, subsisterait-elle encore à cet ouragan politico-économique ?
Même destin pour la ville de Rouen, à qui il resterait peut-être l’entretien des trottoirs !!!
En matière d’aménagement du territoire, nous serions devant une folie suicidaire. La chasse aux subventions publiques serait complètement déséquilibrée.
Déjà, la CREA joue des coudes et cherche à se placer au niveau européen en se portant candidate au Centre Européen des entreprises innovantes. D’où l’évidente complicité des technocrates de Bruxelles, partisans du fédéralisme européen.
 
Feu le commissariat au plan
Cette inquiétante évolution n’est pas due au hasard. Le commissariat au plan avait la responsabilité d’aménager l’ensemble du territoire et d’en assurer l’équilibre. Depuis sa suppression en 2006, les valeurs d’unité et d’indivisibilité de la République sont très sérieusement malmenées.
Or, des efforts importants ont été réalisés ces dernières années entre la région et les deux départements avec la formule du 276.
Il n’existe pas de muraille entre ces collectivités, bien au contraire. En matière d’économie, de transport, d’aménagement du territoire notamment, des complémentarités existent même si en permanence il faut penser à les améliorer. Je ne doute pas que ce souci soit permanent.
Alors, pourquoi cette frénésie « fabiusique » ?
Pourquoi prendre le risque de miner les fondements de notre République, sauf si c’est pour rejoindre le dessein des européistes, de Monnet à Barroso sans oublier Delors, d’une Europe fédérale effaçant les Etats ?
Voilà comment on peut critiquer une loi, en l’occurrence la Réforme des Collectivités Territoriales, s’y opposer, voter contre au Parlement et en définitive en faire son miel en l’appliquant à son profit en province !
Concernant l’aménagement du territoire, le constat est clair, l’UMP, le NC, le PS font cause commune.
On s’étonnera alors, que le peuple se désintéresse de la politique.
         
 
   Pour en savoir plus,
           consultez sur INTERNET Pôle Métropolitain Havrais – Pôle Métropolitain Rouennais