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La pétaudière du nucléaire



Le débat politique s’articule le plus souvent autour de deux pôles, capitalisme ou communisme, spéculation ou répartition des richesses produites.
 En résumé, la question posée est celle de la place faite aux individus dans la cité.
Ce débat politique est bien évidemment primordial, mais entre les échéances la vie politique suit son cours, des choix sont faits, et il me paraît pour le moins nécessaire d’informer de ce qui se trame actuellement sur l’énergie par exemple.
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De façon assez feutrée se dessinent et peut-être se décident les choix énergétiques pour, au moins, les 100 ans à venir. Au cœur de ce débat, le nucléaire domine et son lobbying est puissant.
Mise en route du 1er réacteur civil
Cela fait maintenant plus d’un demi-siècle que la France a fait le choix du nucléaire civil. Le premier réacteur fut installé à Chinon en 1963. La durée de vie d’un réacteur, selon les normes de sécurité établies, est de 40 ans. A ce jour, les 9 premiers installés sont arrêtés et en cours de déconstruction.
En 2009, les différents responsables attachés à l’atome civil (opérateurs – organismes de sécurité – gouvernement…) ont décidé de prolonger la durée de vie des réacteurs d’au moins 10 ans, moyennant des contrôles de sécurité accrus. Est-ce bien raisonnable ?
Fin de vie des réacteurs, que faire ?
Ainsi se pose la question du remplacement des machines définitivement arrêtées. Sachant que les centrales à charbon et au gaz, grandes émettrices de gaz à effet de serre, sont proscrites, le choix est simple :
1- poursuivre dans la voie du nucléaire avec des machines de nouvelle génération de type EPR
2- stopper crescendo l’exploitation de l’atome civil et se tourner définitivement vers d’autres technologies qualifiées de durables comme l’éolien, le solaire, les courants marins, la biomasse etc…
La dangerosité de l’énergie nucléaire est reconnue par tous, mais certains la minimisent, d’autres la redoutent.
Lorsque l’Etat français s’est engagé dans cette voie, dans les années 50, les septiques de cet équipement avaient reçu l’assurance des chercheurs les plus capés de cette technologie, que la question cruciale des déchets serait réglée dans les meilleurs délais.
Un demi-siècle plus tard, cette question n’est toujours pas solutionnée. Même si le process français reste l’un des meilleurs au monde, la seule chose que l’on sache faire est la vitrification puis le stockage à La Hague et peut-être ailleurs, sans oublier les envois énigmatiques de déchets radioactifs en Russie !!!
Pour les autorités, l’heure est donc venue de trancher. Bénéficiant d’une carence des partis politiques traditionnels, le vent de l’écologie souffle fort. Ainsi la mode est au développement durable, même si on en connaît mal la définition.
Pour ma part, je crains qu’il ne s’agisse, à l’image du « Grenelle de l’environnement » que d’un rideau de fumée permettant de poursuivre la pratique d’un capitalisme mondialisé et complètement débridé.
A fond pour le nucléaire
Ainsi, surfant sur la lutte contre le gaz à effet de serre, le Président de la République annonça, en 2008, sa volonté d’installer en France un deuxième EPR après celui de Flamanville près de Cherbourg. Le consensus politique Haut Normand (UMP/NC/PS/PC pour ne citer que les principaux) excepté les Verts, offrit le site de Penly, près de Dieppe, pour accueillir ce nouvel équipement.
Les arguments avancés, non pas pour le site, mais pour justifier le choix de la poursuite de cette technologie, méritent quelques commentaires.
Le faux argument de l’indépendance
Les « nucléairistes » tentent d’expliquer que cette technologie rend la France énergiquement indépendante.
C’est une allégation mensongère.
Le sous-sol français ne dispose plus d’uranium. La dernière mine fut fermée en 2001, il s’agissait de Jouas en Haute-Vienne. De ce fait, nous dépendons de contrats d’extraction, notamment avec des pays africains, le Niger essentiellement. La patrie des Droits de l’Homme ne devrait pas être très fière de ce type de transaction. En effet, la contrepartie repose sur l’aide ou plutôt le « coup de main » apporté aux régimes despotiques et oligarchiques en place, pour maintenir la pression sur les peuples et par la même s’assurer d’une main d’œuvre à très bon marché. C’est la fameuse France/Afrique dont quelques Ministres ou Secrétaires d’Etat se sont brûlés les ailes en voulant aller voir de trop près ce qui se passait.
Par ailleurs, si le nucléaire civil devenait l’énergie privilégiée dans le monde entier, les cours de ce minerai s’envoleraient et la spéculation ne manquerait pas de se saisir de cette opportunité.
Business ou énergie ?
Au-delà de ces prévisions, la situation de la France est particulière. Le nucléaire n’a pas qu’un caractère énergétique, il est devenu un enjeu commercial et budgétaire de premier ordre.
La mondialisation et la concurrence libre et non faussée ont permis à des pays émergents à conduire une guerre économique et sociale sans merci aux économies installées depuis plusieurs siècles. Cela se traduit par une forte désindustrialisation des pays comme la France.
Non seulement, cela conduit à un chômage de masse et à une paupérisation de la classe ouvrière mais du fait d’importation massive de produits de consommation courante, la balance commerciale de la France subit un dangereux déséquilibre.
Voilà pourquoi les gouvernements et les pouvoirs publics français, quelles que soient leurs couleurs, forts de notre savoir faire dans le domaine de l’atome civil, ont considéré et considèrent qu’il faut exporter notre spécialisation en la matière, pour rééquilibrer les comptes de la Nation.
Or, on ne vend pas des réacteurs nucléaires, comme de vulgaires brouettes. Les pays clients potentiels ont besoin d’être assurés d’un fonctionnement fiable et rentable et rassurés face à un équipement à risques. D’où les deux exemplaires, en forme de sites témoins, Flamanville (en construction) et Penly (en projet)
Une concurrence féroce
Mais tel l’arroseur arrosé, le dogme libéral se retourne contre ses plus farouches partisans.
L’exemple d’Abou Dhabi en est la parfaite illustration et rebat les cartes.
Cet émirat a décidé de s’équiper du nucléaire civil et, selon les règles de l’O.M.C., a fait appel aux différents constructeurs spécialisés du monde entier.
Le marché portait sur la construction de 4 réacteurs.
La France avec AREVA avait fait acte de candidature, mais c’est le sud coréen Kepco qui a raflé la mise.
La question est donc de savoir pourquoi l’asiatique a eu raison de l’européen.
La sécurité reléguée au second plan
Curieusement dans un marché de cette importance technologique apparaît le concept de low-cost !!!
En fait, selon les indiscrétions qui ont franchi l’épais mur de silence qui entoure cette activité de pointe, il apparaît que les normes de sécurité ont été rabotées. Celles observées jusque là pour faire face à d’éventuelles attaques aériennes par des aéronefs, auraient fait l’objet de dangereux calculs de probabilité, ou plus précisément d’improbabilité, d’où un prix moindre proposé par les sud-coréens.
Cette concurrence libre et non faussée fait réagir plusieurs acteurs engagés dans cette affaire. Ainsi, les déclarations d’Anne Lauvergeon, Présidente du directoire d’AREVA et de Henri Proglio, PDG d’E.D.F., sont explicites. La Présidente d’AREVA a déclaré « Jamais la technologie coréenne vendue à Abou Dhabi n’aurait été autorisée en Europe ou aux Etats-Unis » Elle a de plus précisé que son groupe peut « faire du sur-mesure en taille de réacteur, d’adaptation aux contraintes locales, de choix technologiques » mais qu’ « il n’y a guère le choix en matière de sécurité » Le discours du PDG d’EDF est identique « La théorie du nucléaire « low-cost » ne tient pas la route. Il n’est pas possible d’imaginer le nucléaire autrement que dans des conditions de sécurité optimales »
L’émergence dans le domaine de cette technologie de pays comme la Corée du Sud, la Chine et la Russie fait que la liste des constructeurs de réacteurs nucléaires s’allonge. Ainsi, ces trois pays rejoignent la France, les Etats-Unis, l’Allemagne et le Japon dans la maîtrise de l’atome civil.
Voilà qui est clair, les pouvoirs publics de la France se trouvent désormais face à un dilemme :
  • soit  ils s’inscrivent dans cette folle surenchère au prix de la sécurité,
  • soit ils jettent l’éponge, abandonnant ce marché, et dans ce cas, quid du projet de rééquilibrage de la balance commerciale de la France et adieu l’autofinancement du renouvellement du parc nucléaire français ?
Un coup prohibitif
Le parc nucléaire français est composé de 58 réacteurs de puissance inégale. Pour le renouveler sur un échéancier de 20 ans, ce n’est pas moins de 250 milliards d’euros d’investissement qui seraient nécessaires.
Est-ce bien réaliste, dans le contexte de crise que nous connaissons, compte tenu des finances nationales ?
Reste maintenant le douloureux problème des déchets.
Ainsi, et je le répète, après 50 ans de recherche sur le traitement des déchets, aucun processus efficace et sans danger pour la population n’a été découvert ou inventé.
S’il ne s’agissait pas d’un sujet aussi grave, l’attitude d’une majorité d’élus hauts normands ferait rire.
Dans la même période où ces élus (sauf les Verts) s’étaient prononcés avec enthousiasme pour l’implantation d’un E.P.R. à Penly, l’Agence Nationale pour la Gestion des Déchets Radioactifs (ANDRA) proposait la réalisation d’une étude approfondie du sous-sol haut normand au nord de l’Eure, pour stocker les déchets radioactifs.
Or, les mêmes élus, ou leurs partis, qui avaient approuvé l’EPR à Penly, rejetèrent avec véhémence l’offre de l’ANDRA !!
Voilà certainement ce que l’on appelle faire preuve de cohérence politique.
Mais les nucléairistes (scientifiques, élus et spéculateurs) qui ne sont pas à court d’idées se sont entendus pour trouver « leurs » solutions. Ils ne proposent, rien de moins, qu’une dissémination des matériaux contaminés dans la nature.
En effet, un arrêté interministériel daté du 5 mai 2009 « autorise l’ajout de substances radioactives dans les matériaux de construction et les biens de consommation à l’exception des aliments, des produits cosmétiques, des parures, des jouets et des matériaux en contact avec les aliments et les eaux ».
Cet arrêté a été pris malgré l’avis défavorable de l’Autorité de Sûreté Nucléaire.
La CRIIRAD (Commission de Recherche et d’Information Indépendante sur la Radioactivité) a déposé un recours en annulation auprès du Conseil d’Etat en date du 10 juillet 2009, à ce jour cette haute instance de la République n’a toujours pas donné suite.
Sur le fond et malgré les exceptions, cet arrêté pose un grave problème. Dans le cadre du recyclage des matériaux, les plastiques et l’acier par exemple, qui peut dire qu’à un moment donné, ces matériaux contaminés ne se retrouveront pas, par la réutilisation, au contact des aliments, des eaux, des jouets etc… ?
Décidément, le nucléaire civil est l’exception démocratique par excellence. Alors que la représentation du peuple a toujours été tenue à l’écart des choix concernant l’atome civil, les dérogations au code de la santé publique sur les rayonnements ionisants se prennent en quasi-catimini par trois cabinets ministériels, Santé, Consommation et Construction.
Exposition des salariés
La sécurité des travailleurs du nucléaire reste assez secrète. De temps en temps, la population est informée de quelques fuites mais rapidement qualifiées de mineures par le service communication du site. Ne perdons pas de vue que régulièrement les services sanitaires distribuent aux habitants environnant les réacteurs, des pastilles d’iode, au cas où …..
Le plus inquiétant, semble t’il, est le sort fait aux salariés DATR « Directement Affectés aux Travaux sous Rayonnements »
Ces travailleurs sont des précaires qui se déplacent d’une centrale à l’autre pour en assurer l’entretien pendant « les arrêts de tranche » Ils doivent veiller à ne pas être exposés au-delà de la dose maximale prescrite de rayons ionisants. Ainsi, ils sont stressés en permanence de peur de subir la dose fatale, d’autant qu’au fil des chantiers, la fatigue s’accumule augmentant par manque d’efficacité ou de vigilance les risques de la dose de trop. Il faut préciser que les inspections du travail n’ont pas accès aux centrales nucléaires. C’est l’Autorité de Sûreté Nucléaire, dont on peut douter de la totale indépendance, qui assume ce rôle.
Le nucléaire, c’est aussi cela. Tous ceux qui sont intéressés par les conditions de vie et de travail des salariés doivent prendre conscience de ces phénomènes pour se prononcer en pleine connaissance de cause sur des choix énergétiques.   
La déconstruction, à la charge de qui ?
La déconstruction est un problème supplémentaire.
Là aussi, l’opacité règne sur cette activité concernant la durée de l’opération et le coût. La rumeur laisse entendre que la durée de déconstruction d’un réacteur dépasserait largement une décennie et que le coût avoisinerait celui de la construction. La question posée est donc celle de savoir, qui paye ? E.D.F. explique que le prix du kilowattheure comprend le coût de déconstruction alimentant ainsi une soulte mise à disposition pour couvrir les opérations de démantèlement. Mais une autre rumeur laisse entendre que cette soulte sert aussi à autre chose. Difficile de se faire une idée précise compte tenu du peu de clarté qui règne sur cet autre volet du nucléaire civil.
Quoi qu’il en soit, tant que les réacteurs fonctionnent, on est dans la normalité des recettes et dépenses. Mais un jour viendra, quand les réserves d’uranium seront épuisées, les consommateurs d’électricité devront faire face aux dépenses de déconstruction sans bénéficier des recettes dues à la production.
Les moralistes qui n’hésitent pas à culpabiliser les générations du 3ième âge, au prétexte qu’on ne peut laisser socialement un lourd héritage aux générations futures, feraient bien de se pencher sérieusement sur cette question de fin de vie du nucléaire. Non seulement elles auront à gérer la pollution sur plusieurs siècles, mais en plus, elles devront assumer les coûts de déconstruction.
Conclusion
Incontestablement, ce qui se passe actuellement est une affaire de gros sous.
L’aire des centrales à charbon, pour produire de l’électricité devrait avoir vécu. J’utilise la prudence du conditionnel car la technique du piégeage du CO2 semble évoluer. Il s’agirait de capter le CO2 sur le circuit de sa production et de le stocker dans d’anciens puits de gaz naturel.
Mais pour cela, comme pour tout projet de cette nature, il faut maîtriser la technique, s’assurer de la viabilité économique et faire face à la compétitivité des autres modes de production.
Quoi qu’il en soit, l’électricité nucléaire est un immense marché mondial que le capital ne peut négliger, et faisons lui confiance, ne négligera pas.
La preuve vient d’être faite par les récentes déclarations d’Henri Guaino prononcées au cours d’un colloque sur l’industrie électrique « Il y a un immense marché pour la France et ce marché, évidemment, nous n’arriverons pas à le conquérir si l’équipe de France du nucléaire se met à ressembler à l’équipe de France de football (…) Il faut y aller unis » « Il faut travailler évidemment sur l’élargissement de la gamme, dont nous avons bien pris conscience qu’elle ne correspondait pas toujours aux besoins des clients »
Ainsi, les choses sont claires, la bataille du nucléaire est bien engagée. Après avoir détruit le monopole public d’E.D.F., les néolibéraux travaillent à la constitution d’un monopole ou d’un quasi-monopole de droit privé. Et comme pour rassurer les actionnaires/spéculateurs, tel le cerf qui brame pour signaler sa présence protectrice à son harem, le PDG d’E.D.F. ne cesse de réclamer au gouvernement l’augmentation du prix du kilowattheure vendu aux consommateurs.
Cependant, il semble acquis que la production d’électricité provenant exclusivement de centrales (gaz, charbon, atome) et hydraulique ne corresponde plus à la réalité d’aujourd’hui. L’avenir est à la diversification énergétique appelée « bouquet énergétique » dans lequel se situe aussi le solaire, sous plusieurs formes, l’éolien terrestre et offshore, la biomasse etc…
Il reste à gagner que ce bouquet soit intégré dans un véritable service public à l’écart des spéculateurs.
 
Article publié le 2 juillet 2010