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Quand un Sénateur piétine la laïcité



 

JUILLET 2010
  
En 2010, l’ouest du département de l’Eure fut le théâtre de fortes secousses anti-laïcité.
En infraction aux lois de la République, des élus locaux et nationaux apportèrent leur soutien à un ecclésiastique local en conflit avec sa hiérarchie.
La fédération de l’Eure de la Libre Pensée, jouant son rôle de défenseur des valeurs laïques, fit connaître, dans la presse locale, son désaccord quant à l’implication d’élus dans le conflit interne d’une religion enfreignant, de fait, la loi dite séparation des Eglises et de l’Etat.
La réaction ne tarda pas, elle s’exprima par le sénateur UMP Joël Bourdin qui utilisa la presse locale pour justifier son parti pris dans le conflit des ecclésiastiques.
Bien que ne souhaitant pas m’immiscer dans un débat que je n’avais pas moi-même initié, les propos contenus dans l’article du sénateur Bourdin étaient si pourfendeurs des valeurs de laïcité que je n’ai pu résister à lui adresser un courrier (copie ci-dessous) exprimant mon profond désaccord.
 
 
M le Sénateur,
 
Depuis quelques mois, des articles de presse traitant de la laïcité, dont la loi de séparation des églises et de l’Etat, alimentent d’intéressants échanges allant jusqu’à la polémique.
Je suis ces débats avec la plus grande attention.
Bien que non libre penseur, mais très attaché aux valeurs de laïcité, je suis outré à la lecture de vos propos et en particulier ceux de l’article de l’Eveil Normand paru le 23 juin dernier.
Comment un parlementaire, éthiquement astreint au respect de la Constitution et au cas particulier de son article premier, peut-il s’affranchir à ce point d’une loi comme celle du 9 décembre 1905, qui depuis plus d’un siècle constitue le socle de la République Française ?
Vous semblez, M le Sénateur, regretter les pratiques de l’ancien régime où le roi incarnait Dieu dans le royaume, avait pratiquement le droit de vie et de mort sur ses sujets, où la religion régentait la vie économique jusqu’au foncier, où les dames patronnesses distribuaient l’aumône aux indigents à la sortie des offices.
Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que les valeurs républicaines de solidarité, que je ne confonds pas avec la charité, soient de plus en plus abandonnées par le gouvernement que vous soutenez au profit d’intérêts mercantiles et charitables à l’exception cependant du Téléthon que l’église catholique rejette !!!
Mais je me dois de constater la constance de votre raisonnement et de vos pratiques en la matière.
En mars 1996, vous présidiez en votre qualité de Sénateur Maire la cérémonie de départ du Sous-préfet de Bernay en l’Abbaye du Bec-Hellouin.
Dans votre discours vous vous félicitiez que le fonctionnaire ait choisi l’Abbaye du Bec en précisant que ce lieu était  le « cœur de la Normandie »
Dix-huit mois plus tard, vous récidiviez en présidant la cérémonie dite « de la sainte
patronne » de la gendarmerie, toujours à l’Abbaye du Bec-Hellouin.
Une Abbaye, de plus celle du Bec-Hellouin chargée d’histoire religieuse comme tous ces lieux d’exception, serait t’elle, selon vous, un lieu adapté pour recevoir des cérémonies républicaines concernant les grands corps de notre Etat laïque ?
Mais c’est certainement le cheminement qui vous conduit à considérer, qu’aujourd’hui, la loi de séparation des églises et de l’Etat est éculée.
Ainsi, partagez-vous les discours prononcés par le Président Sarkozy au Latran, à Riyad et au CRIF mettant le curé, le rabbin et l’imam au-dessus de l’instituteur ?
Dans l’article du 23 juin, vous considérez n’avoir constaté que très rarement « un empiétement du domaine religieux sur celui de l’action communale » La formule « que très rarement » est en fait la reconnaissance que le phénomène existe.
Je suis surpris que vous ayez si peu de connaissance des faits rapportés par la presse montrant, selon moi, le mélange des genres.
Je tiens à votre disposition une liste importante de cérémonies, d’inaugurations de calvaires, de vitraux, de travaux divers et variés où les élus, de toutes tendances, se trouvent à l’intérieur des lieux de prières aux côtés des hommes d’église puisque de plus le catholicisme ravale les femmes au rang de subalterne.
Je veux cependant vous citer deux cas, l’un à Bérengeville-la-Campagne, où le Maire de la commune a prononcé un discours du haut de la chaire de l’église lors de la bénédiction du coq du clocher, le 13 octobre 2007.
L’autre s’est produit à Rugles en octobre 2009 où le Maire, accompagné d’une adjointe (par ailleurs responsable de l’équipe pastorale) ont participé à l’office de bienvenue du nouveau curé sur le thème « s’adapter à l’église moderne »
Tout un programme, laïc très certainement !!!
Je dois vous confier que j’ai conduit une petite enquête pour connaître le nombre de Mairies qui, dans notre département, arborent sur le fronton de leur immeuble le triptyque de la République « Liberté, Egalité, Fraternité »
Je me suis limité aux chefs-lieux de cantons. Le résultat est consternant car les doigts des deux mains suffisent largement pour compter les Mairies arborant cet emblème. Peut-être, en votre qualité de Président des Maires de l’Eure, vous pourriez faire le nécessaire pour réparer cette carence ?
Toutefois, je tiens à préciser que ces entorses à la laïcité ne sont pas seulement « l’œuvre » du parti que vous représentez. Le parti majoritaire de l’opposition nationale a, lui aussi, une conception bien particulière de la laïcité.
L’ancien Ministre de l’Education Nationale qui n’a pu accéder au deuxième tour de la présidentielle de 2002 n’a pas laissé un souvenir impérissable sur la laïcité.
J’ai également constaté, à la lecture de l’article de l’Eveil du 23 juin, que le libéralisme que vous incarnez a ses limites, celle de la contestation. Quand on s’oppose à vos conceptions, vous n’hésitez pas « à montrer vos muscles » indiquant aux relais d’opinions les limites à ne pas dépasser.
Ma naïveté me conduisait à penser que les membres de la haute assemblée à laquelle vous appartenez, qualifiés de sages, savaient prendre la hauteur nécessaire et respecter les lois, de surcroît celles qualifiées de fondamentales.
Vous concernant, je constate qu’il n’en est rien, et c’est profondément regrettable.
Sachez, M le Sénateur, que je suis un homme tolérant. Je conçois que des individus aient besoin de croire en l’au-delà, mais concevez aussi que d’autres s’interrogent ou sont convaincus qu’après la mort il n’y a plus rien.
Ainsi, la croyance ou l’incroyance relève strictement du privé.
En aucune manière, la gestion de l’intérêt général ne doit s’imprégner de ces certitudes ou de ces incertitudes. De ce fait, les élus de tout niveau se doivent de respecter une stricte neutralité en ce domaine. C’est l’application de la loi de séparation des églises et de l’Etat, ne vous en déplaise, M le Sénateur.
Acceptez mes salutations laïques et républicaines.                                               
Jean-Louis Ernis

Quelques extraits de la réponse du Sénateur
 :
 
« A l’heure où le déclin de l’emprise de l’Eglise sur la population française est patent pour ceux qui veulent regarder au-delà de leur petit cercle traditionnel...... »
« Par ailleurs, je vous confirme que l’Abbaye du Bec me remplit d’émotion, car sous Guillaume, c’est là qu’ont essaimé les grands architectes...... »
 
Incontestablement, le Sénateur Bourdin a zappé la loi du 9 décembre 1905.
Il nous reste donc à réaliser un travail militant, pour réhabiliter les valeurs de notre République pour lesquelles malheureusement trop d’élus se jouent.