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Lettre ouverte à un ancien candidat aux départementales



A M Daniel Groult candidat remplaçant aux élections départementales
de mars 2015 du canton de Bernay
 
Le débat politique ne se limite pas à la tournée des estrades dans le mois qui précède un scrutin électoral.
Dans une démocratie comme la nôtre, pour faire vivre la République le débat doit être permanent.
C’est pourquoi, je m’adresse publiquement à vous qui, par deux fois, avez sollicité le suffrage des électeurs :
-          aux départementales de mars 2011 adoubé par la majorité socialiste conduite par Jean-Louis Destans
-          en mars dernier comme remplaçant de Lionel Prévost, conseiller général sortant, membre actif de la majorité socialiste sortante.
Pour avoir participé à deux de vos réunions publiques lors de la dernière campagne des élections départementales, j’avais observé avec étonnement la volonté des candidates et candidats de votre équipe de ne pas faire référence à une quelconque appartenance politique !
Je me souviens ne pas avoir été le seul de l’assistance à m’étonner de cette sorte d’apolitisme.
Quelques mois après nos échanges, je crois comprendre les raisons de votre non choix.
Sur le terrain, je veux parler de la Communauté de Communes du Canton de Beaumesnil, votre attitude politique se confond allègrement avec celle de vos collègues maires, pour la plupart de droite.
Au cours de la réunion du conseil communautaire tenue le 24 juillet, au siège de la 3CB, je ne vous ai pas entendu exprimer la moindre réserve s’agissant de la création d’une commune nouvelle en substitution aux 17 communes de l’ex-canton de Beaumesnil.
Vous n’avez même pas relevé l’expression du représentant du cabinet chargé de l’étude, qui a éprouvé le besoin de rectifier sa première expression « assurer un service public de qualité » en « assurer au public un service de qualité »
La différence entre les deux formules n’est pas anodine, la seconde introduit le secteur marchand dans la fonction publique.
C’est typiquement une option néolibérale à laquelle vous adhérez puisque vous n’avez éprouvé aucune réaction.
De fait, pour assister aux réunions du conseil communautaire, je n’ai constaté aucune différence entre votre position et celle de votre concurrent de mars dernier, l’actuel maire UDI de Beaumesnil.
On peut en déduire que cette campagne électorale entre les protagonistes dont vous faisiez partie n’était qu’un jeu de rôle, le but principal, pour ne pas dire unique, étant d’accéder à un poste honorifique.
Où est donc la différence entre l’UDI, c'est-à-dire la droite orléaniste et le PS pour lequel, de fait, vous concourrez ?
En vous prononçant, sans retenue pour la commune nouvelle, vous vous rangez dans la file disciplinée, coachée par le Président du département.
En effet, lors d’une réunion des maires tenue le 26 juin à Evreux, Sébastien Lecornu a plaidé pour le développement des communes nouvelles donnant en exemple Tinchebray Bocage dont le maire est UMP « Les Républicains » 1er Vice-président du Conseil départemental de l’Orne.
Votre docilité à la construction néolibérale de notre société est humainement irresponsable.
Elle conduit à vider les zones rurales de leurs forces vives au profit de l’agro-business et à entasser les individus dans des villes surpeuplées, certaines appelées « métropoles », dont la promiscuité finira par conduire au pire.
Espérons que dans cette affaire, l’intérêt général n’a pas été sacrifié sur l’autel des ambitions personnelles ?
Hélas, votre pratique politique s’ajoute à celle de l’actuel gouvernement que vous soutenez, semble t’il.
-          Faites-vous vôtre les déclarations du Ministre de l’Economie qui sur la BBC, en mars dernier, regrettait que dans les années 80 la France n’ait pas réformé comme le fit Mme Thatcher au Royaume-Uni ?
-          Faites-vous vôtre son discours prononcé à l’Université du MEDEF le 27 août stigmatisant les 35 heures ?
-          Allez-vous apporter votre soutien à la désarticulation du Code du Travail ?
Face à l’accentuation de la dérive néolibérale du gouvernement actuel, comment allez-vous aborder les échéances régionales des 6 et 13 décembre prochain ?
Vous aurez bien de la peine à montrer une différence entre ce que vous votez et soutenez et le programme de la droite.
Et pourtant, le mandat régional qui se termine, assumé pour une grande part par Alain Le Vern et terminé par Nicolas Mayer-Rossignol ne mérite pas d’être rejeté.
J’ai eu l’occasion d’entendre votre discours culpabilisateur à l’adresse des citoyens, souvent humbles, qui ne sachant plus à qui apporter leur confiance, se jettent dans les bras de l’extrême droite.
Vous devriez, vous et vos collègues socialistes (je dis collègues car je pense que le mot « camarade » ne fait plus partie de votre langage) vous interroger sur votre responsabilité dans la montée de l’extrême droite, en pratiquant une politique tournant le dos à l’humanisme.
 
A ce sujet, je vous invite à prendre connaissance de l’extrait d’un message délivré récemment par un socialiste, un vrai socialiste celui-là, Pierre Joxe, devant un parterre de « frondeurs » socialistes.
Meilleures salutations républicaines.
Jean-Louis Ernis
Animateur DPVRS-27
 
Déclaration de Pierre Joxe parue sur le site de JC Houel
« Édouard Martin [eurodéputé PS lui aussi présent à la tribune] parlait ce matin de syndicalistes brésiliens qui lui disent "tenez bon! l’Europe est notre modèle en matière de droit social". C’est une leçon très importante. Le droit social est une invention récente. Il n’existait pas au XIXe siècle. Il est né au moment où le capitalisme a développé le salariat et a créé des accidents du travail terribles. Les premières lois de droit social sont des lois de sécurité physique. 

Ce droit social est aujourd'hui présenté comme ringard, ou pire, comme un danger. Aujourd’hui, avec les déclarations récentes de Macron, vous êtes servis par les circonstances, on dirait que vous êtes intervenus auprès de lui ! Et quarante-huit heures après, c’est Gattaz!  Le patron du Medef a dit que le code du travail fait 3 500 pages. Ce sont des mensonges incroyables : la législation fiscale est infiniment plus lourde et plus complexe, plus compliquée, plus changeante et plus illisible encore que le code du travail. Sous la reliure rouge des éditions Dalloz, avec le titre « Code du travail », est publié chaque année un gros livre qui contient, outre le code du travail, toute une série de notes de jurisprudences, de commentaires. Monsieur Gattaz n’a donc jamais ouvert le code du travail !
Car si on ouvre un code du travail, on découvre ce que je vous dis, ce que tous les syndicalistes savent, ce que tous les conseillers de prud’hommes savent, ce que tous ceux qui travaillent sérieusement le droit savent. Publier des mensonges aussi stupéfiants, c’est un comportement éhonté de la part d’un responsable professionnel. Pire ! Il a dit : « Je suis heureux de constater qu'un certain consensus est en train d'apparaître parmi les responsables politiques ainsi que d'éminents juristes, de droite comme de gauche, autour de cette nécessaire évolution de notre modèle social vers un modèle économique et social adapté aux nouvelles contraintes du monde d'aujourd'hui. » 

Quel « consensus historique »? Il est vrai que [Robert] Badinter a publié récemment, hélas, un livre qui me stupéfie d’autant plus qu’il n’a jamais été un spécialiste du droit du travail. « Consensus historique » ? Ce n’est pas rien! Gattaz ajoute : « Le gouvernement qui réglera ce problème entrera dans l’histoire. » Mais quel problème? Le problème du droit du travail ? Mais le droit du travail, le droit social en général, c’est une accumulation de conquêtes juridiques lentes. La première loi fut la loi sur l’indemnisation des accidents du travail de la fin du XIXe siècle. Ensuite, il y eut le repos hebdomadaire, en 1906, l’année de la création du ministère du travail sous le gouvernement Clemenceau, après la catastrophe de Fourmies où il y eut des centaines de morts. On a sorti 1 000 cadavres, mais on ne saura jamais combien il y a de morts, car beaucoup d’enfants travaillaient sans être déclarés. 

Le droit du travail est né d’une série de secousses, politiques, sociales, physiques, psychologiques, émotionnelles. 1 000 morts ! À gauche comme à droite, les gens sont secoués ! Lisez les rapports, les discussions à l’Assemblée nationale à l’époque. Et dans les jours suivants, on découvre encore des vivants, on sort vingt-cinq mineurs : la direction de la mine avait arrêté les recherches parce qu’elle voulait sauver les installations au lieu de sauver les derniers survivants.
L’histoire du droit social est faite d'une progression lente, et de reculs parfois, en France, en Angleterre, en Allemagne. Cette longue histoire n’est pas regardée que par nous. Au Brésil, ils connaissent cette histoire. Je vous ai apporté un petit livre, pas cher, la leçon inaugurale du professeur Alain Supiot au Collège de France. Le professeur Supiot écrit une phrase qui mérite d’être méditée : « L’état social n’est pas un monument en péril (…) mais un projet d’avenir poursuivi sous des formes différentes dans tous les grands pays émergents. » Voilà la réalité du droit social ! (...) Monsieur Gattaz n’a pas l’air de regarder ce qui se passe dans ces pays, ça ne l’intéresse absolument pas. 

(…) Le droit qui protège la vie des travailleurs, la santé des travailleurs, leurs conditions de vie, leur rémunération, leurs conditions de travail : ce droit se construit sous nos yeux. En France, on va le détruire sous nos yeux. 

On ne peut pas laisser des gens plaisanter avec ces choses-là. Dire comme le fait [Jean-Marie] Le Guen, le docteur Le Guen, que « le code du travail est un puissant répulsif à l’emploi » ! Répulsif, c’est un mot scientifique utilisé par les médecins, ou par les vétérinaires d'ailleurs, pour signer une substance qui, par son odeur, écarte les moustiques ou les mouches. Pour le docteur Le Guen, qui tardivement se met enfin à la médecine, le code du travail est un répulsif à l’emploi. Mais quand il était salarié de la Mnef, il n'était pas contre le code du travail ! 

De cette histoire, nous sommes dépositaires. Nous, la gauche française, tous ses mouvements qui s’entrelacent et parfois s’affrontent : socialistes, communistes, syndicalistes. Nous sommes garants de cette histoire qui est celle de l’humanité. 
 
L’aspiration à la sécurité, le sentiment de solidarité, l’impression de responsabilité, ce sont des sentiments humains, qui se développent ou sont entravés par la vie sociale, l’économie, les guerres. 

(…) Ne croyez pas que la gauche peut mourir. Non. La gauche ne peut pas mourir. Car les sentiments de solidarité, de compassion, de crainte sont humains et transcendent les siècles. 

En France, ce n’est pas la première fois que la gauche traverse une phase de division, de dispersion. C’est ainsi depuis un siècle. Depuis la première unification de 1905, minée dès le départ par la faiblesse et la division du mouvement syndical avec la charte d’Amiens... depuis cette époque lointaine et reculée, la gauche passe par des phases de division, d’affrontements, de réconciliations. Le socialisme s’était unifié en 1905 avec la fusion de différents courants : guesdistes, marxistes, blanquistes, proudhoniens, des syndicats, etc. Jaurès avait réussi ce miracle, mis en cause par quatre événements internationaux successifs, après son assassinat : la guerre de 14, la révolution de 1917, la montée des fascismes, et la deuxième guerre mondiale.
 
Chaque fois, l’organisation, l’action des forces de gauche, en France comme ailleurs, a été perturbée par ces événements internationaux : division ou union autour de la guerre de 14 ; division ou union face au problème du communisme installé par les bolchéviques, avec la scission du parti socialiste au congrès de Tours ; dispersion du Cartel des gauches après la victoire en 1924, quand le parti radical, grand parti de gauche historique, lui même divisé, commençait à se morceler – et cela ne s’est pas amélioré depuis ; division et rassemblement avec la naissance et la mort du Front populaire ; division pour le choix ou le refus du régime de Vichy, avec un grand nombre de députés de gauche qui ont voté pour les pleins pouvoirs à Pétain, heureusement que certains ont voté contre ; division ou réconciliation à la Libération pour la mise en œuvre partielle ou totale, rapide ou prolongée, du programme du Conseil national de la Résistance, avec tout ce qu’il contenait dans le domaine du droit social ; division évidemment au moment des guerres coloniales et ces crimes qui ont conduit les forces de gauche, la SFIO en particulier, à se diviser, à se subdiviser ; illusion avec Mendès France que la gauche allait se rassembler, réussite du génie tactique de Mitterrand qui parvient à rassembler la gauche sur un programme… 

Avec froideur, vu mon âge, mais sans indifférence, vu mon passé, j’observe que la gauche n’a jamais joué son rôle progressiste que dans l’unité. En France, c’est particulièrement difficile. Le rassemblement, quand il s’est fait, s’est fait sur une base programmatique. Le programme est toujours difficile à construire puis à mettre en œuvre. Le rassemblement a toujours été précédé, et accompagné, par des scissions, des fusions, des novations – des clubs, des structures locales. Le rassemblement a toujours été facilité par l’existence de leaders plus ou moins doués. Le rassemblement, cet accord programmatique, a toujours été long à venir, difficile à appliquer, et finalement compliqué. 

(…) 
 
Mais en tout état de cause, ceux qui entreront dans l’histoire ne sont pas ceux qui tenteront de remettre en cause durablement, dans un pays comme la France, les acquis qui appartiennent à notre histoire. Ceux qui entreront dans l’histoire seront ceux qui feront franchir de nouvelles étapes, soit dans leur pays, soit dans d’autres. Il faudrait le rappeler à Monsieur Gattaz : il y a plusieurs façons d’entrer dans l’histoire. On peut entrer dans l’histoire comme Mitterrand qui a commencé à Vichy, est entré dans la Résistance – c’est nettement mieux – a traversé la Quatrième République  – ce n'était pas très long –, a vécu vingt ans dans l’opposition sous la Cinquième République, et a réussi à rassembler la gauche sur la base d'un programme commun, et à faire ce qu’on fait. Cela vaut mieux que d’entrer dans l’histoire comme ceux qui commencèrent par la SFIO, avant la guerre de 14, naviguèrent ensuite dans le Cartel des gauches, sabotèrent le Front populaire, et finirent à Vichy, on sait comment... Entrer dans l’histoire, ce n’est pas un but en soi, pas plus que devenir milliardaire. Mais si l'on veut entrer dans l’histoire, mieux vaut choisir la bonne porte. »