J’ai choisi à dessein ce titre provocateur et apparemment antinomique car il me semble qu’à lui seul il résume fort bien le débat surréaliste que provoque ce que l’on appelle la décroissance.
Dans ce monde où le réflexe est de se faire une opinion à la seule lecture des titres et des sous-titres, il me paraît nécessaire d’aborder cette question au fond en faisant, au préalable, litière des dogmatismes qui s’affrontent sur ce sujet.
Dans leur ensemble, les médias se font un malin plaisir à relayer les positions extrémistes des deux camps.
La question est de savoir pourquoi, à moins qu’il ne s’agisse, comme très souvent, de dresser un épais rideau de fumée pour que rien ne change et que le néolibéralisme continue sa route sans entrave.
Si l’image de la décroissance est celle de l’éleveur de chèvres, se déplaçant à vélo peut-être même avec des pneus pleins ou avec un véhicule fonctionnant à l’huile de friture, équipé de plus de tinette sèche au fond du jardin, alors là effectivement, nous ne sommes pas dans la responsabilité face aux ressources épuisables de la planète, mais dans une posture de retour aux modes de vie des siècles précédents. C’est une autre démarche. Vouloir la généraliser serait irresponsable. En matière médicale et chirurgicale voudrions-nous, par exemple, revenir aux pratiques des dix-huitième et dix-neuvième siècles ?
A l’inverse, si l’opposition à la décroissance s’appuie, comme le font les libéraux, sur le souci du devenir des exclus et déshérités, non seulement l’argument venant d’eux est irrecevable, mais il est abjecte, car c’est précisément la recherche de croissance à tout prix qui, au cours de ces trente dernières années, a généré pauvreté et exclusion en grande quantité.
Je trouve d’ailleurs plutôt curieux que des organisations syndicales, qui ont abandonné la lutte de classes, seul outil permettant d’imposer la répartition des richesses produites, réclament de la croissance. La croissance, dans ces conditions, bénéficie à la seule classe dominante, les salariés n’étant que les subalternes du système.
Le principe de décroissance doit formellement s’affranchir des discours tels que « le vingtième siècle fut celui du socialisme, le vingt et unième sera celui de l’écologisme ». Indubitablement, derrière ce message se tiennent, bien embusqués, les tenants du néolibéralisme qui avec cette assertion, associée aux formules nébuleuses de croissance verte de fiscalité écologique et autre développement durable, trouvent l’occasion de poursuivre le démantèlement de la République sociale et du contrat social.
Sous aucun prétexte, dans n’importe quelle circonstance, le monde ouvrier, la classe ouvrière, peu importe l’appellation choisie, mais en tous les cas, ceux qui s’en réclament, ne doivent abandonner le combat social. L’humanité est ainsi faite, les intérêts des uns ne seront jamais les intérêts des autres, même dans le souci bien compris de la préservation de l’environnement et de l’utilisation responsable des richesses. La lutte des classes ne doit pas baisser la garde, même si à certaines périodes elle est très fragilisée, comme actuellement.
Après avoir exclu les dogmes qui polluent ce dossier, la question est de savoir si nous partageons :
1 – le fait que les richesses naturelles (ce qui ne veut pas dire sans risque à l’exploitation) de la planète terre ne sont pas inépuisables,
2 – que les excès de l’activité humaine commencent à poser de vrais problèmes entre autres climatologiques menaçant les équilibres de la biodiversité dont les incidences sur l’espèce humaine ne sont pas un fantasme, même si aujourd’hui, le niveau d’influence est encore difficile à situer avec précision.
Ainsi, la croissance version néolibérale doit être combattue et remplacée par une croissance bénéficiant à la classe ouvrière d’où le choix de mon titre, la décroissance positive.
Pour illustrer le raisonnement, quelques exemples s’imposent.
Dans le domaine de la vente d’automobiles neuves le gouvernement explique, mois après mois, que grâce à la prime à la casse, le taux de croissance des ventes de voitures neuves est un grand succès. Si les chiffres sont incontestables, ce qu’ils cachent mérite d’être relevé.
Les statistiques montrent que les catégories de véhicules vendus sont essentiellement des gammes de base et milieu de gamme. Or, ce type de véhicule est, en très grande partie, fabriqué hors de France, essentiellement en Europe centrale et orientale dans les conditions sociales très inférieures à celles que nous connaissons.
Actuellement, l’un des deux grands groupes français, constructeurs d’automobiles, ne fabriquent plus que 25 % de sa production au sein de l’hexagone.
C’est un excellent exemple de croissance dont les dividendes vont directement dans les poches des groupes concernés et leurs actionnaires au détriment de l’emploi national et des salaires. Que dire des fonds publics alimentant ces primes, en fait, les impôts directs et surtout indirects payés en majeure partie par la classe ouvrière.
Concernant l’argument écologique de cette opération de renouvellement du parc automobile par des véhicules moins polluants, la ficelle est un peu grosse. La lutte contre le CO2 est globale, or le gouvernement se garde bien d’expliquer qu’en parallèle il laisse la S.NC.F. réduire le fret ferroviaire, par la non prise en charge des wagons isolés, favorisant ainsi le transport routier avec en point de mire la possible mise en circulation des mégas camions.
Il se garde bien également de dire que la compétition organisée au sein de l’Union Européenne des ports maritimes fait que des marchandises débarquées, par exemple au Havre, peuvent être transportées par camions jusque dans le midi pour être consommées ou transformées dans cette région. Le souci du bilan carbone n’est, dans ce cas, pas primordial, c’est le business qui domine.
Enfin et pour conclure sur ce sujet, on ne peut ignorer que pour un fort pourcentage de ce marché, il s’agit de ventes souvent non prévues, pour ne pas dire forcées, conduisant à un endettement des acheteurs. Dans un contexte salarial pour le moins difficile, ce n’est pas sans risque.
Autre exemple de croissance au service quasi exclusif des affairistes, la téléphonie mobile.
Cette technologie au départ très intéressante est rapidement devenue une rente de situation que le business s’efforce d’entretenir. Cet ustensile permettant à l’origine de téléphoner en théorie en tout point du territoire sans fil et d’un encombrement restreint a vu rapidement ses fonctions évoluer et se multiplier, photographie, écran de réception, terminal de paiement, liaison Internet etc…
Actuellement, les services de recherche et développement de ce secteur disposent de dix années de technologie d’avance. Cependant ces évolutions ne sont mises en service que de manière commerciale c'est-à-dire qu’un nouveau process n’est mis sur le marché que lorsque le niveau de vente du précédent est considéré comme devenu non rentable. Ainsi, les terminaux deviennent technologiquement obsolètes, bien avant leur usure mécanique, conduisant de fait à leur remplacement entraînant corrélativement la réactualisation des contrats de prestations.
D’autres perversités existent avec ce système. Le consommateur se trouve piégé par la machine infernale de l’abonnement de plus en plus contraignant. Quant à l’emploi qui découlerait de cette croissance commerciale exponentielle, en France, elle est nulle car ces appareils sont fabriqués dans le sud-est asiatique et plus particulièrement en Chine.
L’analyse serait incomplète si un autre business peu reluisant réalisé en amont n’était pas dénoncé. Les métaux spéciaux entrant dans la composition de ces appareils comme le lithium, extraits du sous-sol africain, induisent « des partenariats » plus que douteux en matière de respect des Droits de l’Homme, à l’instar de ce qui se pratique pour le pétrole et l’uranium, entre des dictateurs africains et les sociétés d’exploitation via des Etats européens, nord-américains entre autres.
La grande distribution et plus précisément le secteur de l’alimentation est une autre activité où la croissance bénéficie quasi-exclusivement au capital, même si la crise du pouvoir d’achat ralentit le business.
Pour le consommateur la baisse des prix et même la stagnation sont un mirage, par contre la hausse quasi permanente est une réalité. Mais d’où provient ce phénomène puisque les produits de base - lait, viandes, fruits, légumes - font l’objet d’un ignoble marchandage au détriment des éleveurs et producteurs de l’hexagone présurés par la mise en concurrence avec des productions de pays appelés à bas coûts ?
Que dire, pour ne citer qu’un exemple, de la concurrence du haricot vert produit au Kenya et conditionné par des ouvriers (hommes et femmes) dont le salaire journalier n’excède pas 1 € ?
Que dire des conditions de travail des marins, pour la plupart coréens - vietnamiens – indonésiens…- qui naviguent souvent dangereusement pour acheminer ces productions et rémunérés par des salaires honteusement bas ?
Le comble du système, ce sont les budgets faramineux de ces grands groupes (téléphonie – grande distribution – agroalimentaire etc…) consacrés à la publicité. Le sport est le vecteur privilégié. Il en découle des salaires pour les athlètes et les dirigeants dépassant l’entendement. Au sein de l’entreprise pourvoyeuse de publicité cela a pour conséquence un glissement de la part normalement destinée aux salaires, vers ce que l’on appelle pudiquement le budget com !
Pour ma part, je n’ai pas de scrupule à remettre en cause le système et ce type de croissance.
Ces quelques exemples donnés sont loin de répondre à la nécessaire exhaustivité pour un tel dossier. Cependant, ils obligent, me semble t’il à réfléchir aux équilibres futurs.
En prenant garde de ne pas tomber dans la spiritualité, on peut néanmoins s’interroger si nos sociétés, dites évoluées, ont besoin pour vivre décemment d’un matérialisme aussi démesuré. En à peine un siècle, les richesses de la planète ont été pillées engendrant, de plus, une pollution nuisible aux équilibres.
Ainsi, de nombreux défis attendent les générations futures. Nous serions irresponsables de vouloir nous en soustraire, même si l’héritage que nous allons leur léguer est déjà très lourd.
La période post-nucléaire fait partie de ces défis. Les partisans et les opposants de cette technologie s’accordent au moins sur un point, celui de la durée de vie des déchets dits ultimes qui, selon les experts, seraient de 200.000 ans soit environ 6.000 générations.
Peut-on qualifier autrement que de folie humaine (j’exclue de ce raisonnement le nucléaire au service du médical) de faire courir le risque de l’empoisonnement voire d’anéantissement de l’espèce humaine pour un confort d’une durée d’un siècle et demi environ, durée approximative des ressources en uranium ? Qui peut raisonnablement croire que lorsque l’uranium sera épuisé, les populations consacreront des fonds pour la recherche du traitement de ces déchets, alors que l’énergie nucléaire aura disparu depuis longtemps ?
Ainsi, pendant de très longs siècles, les populations seront dangereusement exposées à cause de l’irresponsabilité de générations précédentes.
Pour régler ce problème, les « nucléairophiles » ne manquent pas d’imagination. Ils viennent d’obtenir du gouvernement la publication d’un arrêté autorisant l’ajout de substances radioactives dans des matériaux de construction et des biens de consommation !!! Non, non, vous ne faites pas de cauchemar, les Ministres de l’écologie, de la santé, de l’économie et le secrétaire d’Etat au logement ont signé cet arrêté en date du 5 mai 2009, malgré l’avis défavorable de l’Autorité de Sûreté Nucléaire.
La CRIIRAD a immédiatement saisi le Conseil d’Etat pour obtenir l’annulation de cet arrêté, mais à l’heure où je rédige cet article, cette instance de la République n’a pas encore rendu son verdict.
Mais la folie humaine ne s’arrête pas là. La démographie est un autre défi qu’il faudra gérer au cours des décennies prochaines.
Les démographes estiment que si la courbe poursuit sa progression, la planète sera peuplée d’environ 9 milliards d’individus à l’horizon 2050.
Pour les uns, la terre pourra sans problème nourrir cette population. Difficile de ne pas penser que ces certitudes s’appuient sur une production agricole hyper, hyper productive par la généralisation des cultures d’OGM. Pour d’autres, la famine et la malnutrition font « suffisamment » de morts dans le monde. En rajouter serait un désastre, même si semble t’il, la nocivité des produits OGM sur la santé n’est pas définitivement établie, bien que quelques experts commencent à avoir de sérieuses craintes. Cependant, la pollution des terres post-culture OGM en Amérique du Sud est désormais incontestable pour considérer que la culture d’OGM en plein champ comporte bien plus d’inconvénients que d’avantages.
Derrière l’optimisme déclaré se profile l’assurance d’un business supplémentaire. Tant pis si les 9 milliards d’individus ne pouvaient s’alimenter normalement, l’essentiel serait d’écouler la marchandise vers des populations solvables.
En fait, rien de nouveau sous le soleil.
Ces aventuristes feignent d’ignorer que l’alimentation n’est qu’une partie du problème. A cette situation d’autres défis se présentent.
La distribution de l’eau potable et son corollaire le traitement des eaux usées nécessiteraient des investissements colossaux.
Comment assurer un habitat de qualité pour ces 9 milliards d’individus ? Avec quels fonds pour les uns et comment pour d’autres dont le foncier devient une denrée rare ?
Comment éliminer les déchets de manière responsable ?
Enfin, comment ignorer la question cruciale de l’emploi et du salaire correspondant, dans un monde où le chômage se développe dangereusement ?
Alors la question se pose de savoir comment gérer ce phénomène démographique.
Bien évidemment, les solutions coercitives sont à exclure comme l’idée de fiscaliser les naissances. C’est absurde.
L’une des solutions passe par l’amélioration du niveau de vie des populations en tout point de la planète. C’est essentiel au plan matériel, mais aussi au plan culturel. Le principe du planning familial doit se développer et les moyens nécessaires doivent lui être accordés.
La réponse à ce défi devrait, à elle seule, faire l’objet d’un long développement. Cependant, il est clair que la résignation sociale ne règlera rien. Au contraire, si elle perdurait, elle deviendrait complice des affairistes qui auraient le champ libre.
Le mouvement ouvrier doit sérieusement, et en responsabilité, pour l’avenir de sa condition, réfléchir à ces défis et ne pas se contenter d’un suivisme béat des orientations néolibérales. Oui à la croissance, mais au bénéfice de tous, en y ajoutant la préservation des équilibres de la biodiversité.
Ce n’est rien d’autre que la vieille et noble exigence de la répartition des richesses produites dans le contexte environnemental de ce début de 21ième siècle.
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Je voudrais profiter de la publication de cet article pour répondre à l’interrogation, toutefois légitime, de la signification des termes gauche/droite.
La gauche a-t-elle encore une signification dans notre pays ?
Je pense que ce n’est pas à ceux qui restent attachés aux principes de luttes de classe, de laïcité en référence à la loi du 9 décembre 1905, à l’exigence de répartition des richesses produites etc… etc… de déserter ce qualificatif aux valeurs historiques.
Le qualificatif de gauche n’appartient plus à ceux qui, au pouvoir, ont plus privatiser en cinq ans que la droite dans la période précédente, à ceux qui ont promu la laïcité plurielle et ouverte, à ceux qui se sont rangés derrière la bannière d’un programme présidentiel qui n’était pas socialiste, à ceux qui aujourd’hui sont prêts à donner un coup de main à la droite pour encore aggraver les conditions d’accès à la retraite etc…etc…
Faudrait-il abandonner la République parce que le sommet de l’Etat galvaude cette référence ? Faudrait-il abandonner notre référence à Jaurès parce que l’extrême droite a ignoblement tenté de détourner le sens d’une phrase prononcée par l’ancien Député du Tarn ?
Bien évidemment non, au contraire, il faut stigmatiser ces usurpateurs. La gauche nous appartient, nous devons la protéger par une forte opposition à son détournement.
Article publié le 22 janvier 2010