Les élections prud’homales qui ont eu lieu le 3 décembre dernier ont rendu un verdict qui ne peut surprendre que ceux qui ont une perception éloignée de la réalité sociale du terrain.
Lors des scrutins prud’homaux précédents, chaque mandataire de liste trouvait, au moins, un motif de satisfaction dans la globalité des résultats. Cette fois, la stratégie habituelle n’a pu être utilisée, sauf pour la confédération arrivée en tête et ayant amélioré son score.
Le principal enseignement à tirer de ce scrutin, c’est la progression importante et inquiétante de l’abstention. Le taux d’abstention fut de 74,5 % soit une progression de 7,2 points par rapport à 2002. Ce phénomène a pris une telle ampleur, y compris médiatique que, dans leurs commentaires, les journalistes présentaient en premier le pourcentage des abstentions avant celui des votants.
Face à cette abstention démesurée, l’analyse des mandataires n’a pas manqué de surprendre. On y a trouvé des arguments surréalistes.
Les élections prud’homales auraient été victimes de la crise économique et sociale !!!
On ne pourrait faire des analyses sérieuses des résultats obtenus avec ce faible taux de participation !!!
Ces élections auraient été mal organisées par les pouvoirs publics, causant des déperditions !!!
Il y a peut-être un peu de vrai dans tout cela, mais les raisons de fond sont ailleurs.
Posons-nous la question de savoir si, dans le même contexte, les commentaires des grandes confédérations auraient été identiques si chacune avait progressé ?
En vérité, il est désolant et déconcertant de constater ce refus de faire une relation entre les orientations prises au cours de ces dernières années et la perception qu’en font les salariés.
Cela rappelle les élections présidentielles de 2002, quand les mandataires du candidat, privé à la surprise générale du 2ème tour, déclaraient que pourtant leur bilan gouvernemental (1997/2002) était bon !!!
Dans ce genre de situation, l’éthique oblige à chercher sa propre responsabilité avant d’imputer aux autres les raisons de son échec.
Quand on accepte, voire que l’on revendique, le statut de partenaire social, comment s’étonner du désintérêt des salariés à l’égard d’organisations devenues, de fait, des organismes intégrés au système.
Qui peut ignorer que l’abandon, au goutte à goutte, des 37,5 ans de cotisations pour ouvrir des droits pleins et entiers à la retraite, n’a pas laissé de trace, alors que dès qu’ils atteignent la cinquantaine, les salariés n’aspirent qu’à une chose, accéder à la retraite pour fuir l’ambiance devenue exécrable des milieux du travail.
A-t’on mesuré les conséquences du fossé qui s’est creusé au fil des années sur l’application des 35 H, entre les salariés des entreprises de moins de 20 salariés et ceux travaillant dans des entreprises de plus de 20 ? Je l’ai déjà écrit, que les entreprises de moins de 20 salariés aient un traitement différent, cela s’explique, leurs marges de manœuvre sont plus réduites, mais le rôle du syndicat est de revendiquer l’uniformisation par le haut, de tous les salariés.
A-t’on mesuré l’impact négatif reçu sur la question du chèque transport puis de la prime transport, tous deux ressemblant plus à un mirage qu’à une réalité concrète ?
Sur la question du pouvoir d’achat, le courage syndical est plutôt aux abonnés absents.
Oui les salariés, qu’ils soient actifs, chômeurs, retraités, indemnisés, souffrent d’un manque cruel de pouvoir d’achat. La paupérisation, la misère, l’exclusion, la marginalisation gagnent du terrain tous les jours, mais quand on assume des responsabilités, la cohérence se doit.
Hier, relancer le pouvoir d’achat permettait de jouer sur deux curseurs : apporter du mieux être matériel aux salariés, relancer l’activité économique du pays. Or, avec la mondialisation et les principes d’économie libre et non faussée, les produits de consommation courante (habillement – chaussures – jouet – télé – hi-fi – ordinateurs – téléphonie et sa périphérie…) sont devenus des produits d’importation venant essentiellement d’Extrême-Orient.
De ce fait, inévitablement, se pose la question du déséquilibre de la balance commerciale de la France.
Ainsi, on ne peut pas considérer de manière plus ou moins explicite que la mondialisation est une chance, et s’étonner des effets induits dans la vie quotidienne.
Qu’est devenue la revendication des années 90 des clauses sociales, pour éviter le dumping ? Disparue comme les préretraites !!!
Hélas, ce n’est pas terminé. Qu’en sera-t-il de l’automobile avec les délocalisations qu’organisent les constructeurs français, notamment vers les pays de l’Est de l’Union Européenne.
On ne peut à Bruxelles, avec la C.E.S., faire référence à la Stratégie de Lisbonne et s’étonner, à Paris, du délabrement social, à moins d’être atteint de schizophrénie.
Enfin, on ne peut oublier le sabordage du printemps 2005. Alors que progressivement les salariés prenaient conscience de la nécessité de s’engager pour arracher des augmentations de salaires, les technostructures jetèrent l’ancre pour mettre un terme à toutes contestations sociales risquant de détourner un vote positif espéré sur le T.C.E.
Ces apprentis sorciers doivent, aujourd’hui, mesurer la responsabilité qu’ils ont prise en agissant ainsi, et dans quelle dramatique situation ils ont plongé celles et ceux qu’ils sont censés représenter.
En fait, le refus d’apporter un coup d’arrêt à cette machine infernale en se positionnant clairement contre le T.C. en mai 2005 revient, trois ans après, comme un boumerang.
Tous les protagonistes sont au même rang. Qui peut oublier que les vainqueurs du 3 décembre dernier ne doivent leur positionnement sur le T.C.E. qu’à une vigilance du terrain face à une direction qui avait fait un autre choix ?
Enfin, ce n’est peut-être pas un hasard, si l’organisation qui a le plus perdu dans cette élection est celle qui depuis les évènements de l’hiver 1995 (Plan Juppé) fait preuve de grande docilité quant à la remise en cause des acquis sociaux. On peut regretter que les salariés aient mis treize années pour s’en rendre compte mais en fait cette désaffection qui n’est pas nouvelle a éclaté au grand jour en ce début décembre.
Cela devrait donner à réfléchir aux autres, à toutes les autres.
L’année 2008 aura été marquée par une coupable connivence avec les représentants du capital, qu’il s’agisse de l’accord dit de « modernisation du marché du travail » ou de celui astucieusement intitulé « position commune » dont les effets sur l’avenir du syndicalisme en France ne sont pas mesurés à leur gravité. Il semble d’ailleurs que les gagnants du 3 décembre ne soient pas exempts de fortes convulsions internes du fait de cette position commune, entre autres. L’organisation d’un collectif interne, opposé à la ligne pratiquée par la direction confédérale, revendiquant un « syndicalisme de classe » montre que personne n’est à l’abri, et je dirai fort heureusement.
Dans ce contexte, il semble également nécessaire de faire le point sur l’institution prud’homale en elle-même.
Grâce au travail des élus syndicaux et patronaux, cette institution unique en Europe apporte tous les jours la preuve de sa crédibilité et de son efficacité. Ainsi, elle doit être défendue, elle l’est par le message et l’action permanente des organisations syndicales.
Cependant, on ne peut ignorer que dans la majeure partie des cas, c’est l’instance de dernier recours pour valider ses droits. La plupart du temps, les requérants ont perdu leur emploi, car oser poursuivre son employeur aux Prudhommes quand on est encore dans l’entreprise n’est plus une preuve de courage, mais un vrai acte de suicide.
Quant aux solutions envisagées pour relancer la participation électorale, certains « syndicratiens » ont l’œil plus rivé sur leur ego que sur les intérêts collectifs du monde ouvrier.
Ils considèrent que les lieux de travail seraient plus appropriés pour ce type d’élection. Curieusement le Ministre du Travail développe la même argumentation !!! Or, ces funambules du syndicalisme devraient ne pas oublier que le « syndicat dominant » est celui des non-syndiqués et le plus souvent un syndicat marionnette du chef d’entreprise.
Mais, peut-être que ceux qui proposent ce lieu électoral se limitent à comparer leurs implantations, les considérant supérieures aux autres ?
Ce calcul est dangereux car de la même veine que la « position commune », c'est-à-dire mettant en péril l’un des piliers de la démocratie, le syndicalisme libre et indépendant.
Pouvons-nous espérer que les résultats de cette élection fassent prendre conscience aux premiers intéressés qu’il devient urgent de jeter aux orties le costume cravate du partenaire social pour enfiler le bleu de chauffe du combat de classes ?
Pouvons-nous espérer que ces premiers intéressés n’imitent pas ceux qui aveuglés par leur déviance européiste en sont à mépriser l’expression du peuple, normalement souverain. Soit comme en France, en faisant passer par la voie parlementaire ce que les électeurs ont refusé par la voie référendaire, soit comme en Irlande en refaisant voter les irlandais qui avaient exprimé leur refus du traité de Lisbonne en juin dernier ?
Il serait dramatique que les confédérations syndicales françaises considèrent que les résultats des élections prud’homales du 3 décembre 2008 ne sont qu’une simple péripétie qui ne doit avoir aucune influence sur la pratique partenariale de ces dernières années.
Article publié le 17 décembre 2008