Si la gauche française et le parti socialiste en particulier font peine à voir, le syndicalisme français ne paraît pas en meilleure forme. Ses composantes semblent plus préoccupées par leur avenir respectif que par les conditions de vie des salariés.
Pour les unes, le sauve-qui-peut domine (l’accord sur la modernisation du marché du travail est grandement lié à cette préoccupation) pour les autres la course pour devenir le calife syndical est le défi à ne pas rater (la dite position commune sur la représentativité syndicale est l’outil de ce défi)
Le pouvoir politique et le patronat profitent de cette situation - quand ils n’en sont pas à l’origine - pour continuer à tailler dans les acquis sociaux.
Au cœur de ce climat malsain, la question des retraites.
L’épisode des régimes spéciaux, où l’opposition à ce recul social fut plus une honteuse comédie qu’une réelle volonté de s’opposer à la reprise d’un acquis, entre dans ce schéma.
Courant avril, comme il l’avait promis, le gouvernement décida d’imposer les 41 ans de cotisations pour tous.
« Généreux », dans le dialogue social, il invita les confédérations syndicales à un tour de piste et présenta, non pas un projet à débattre, mais un choix définitif : 41 ans pour tous applicables en 2012, à raison d’un trimestre supplémentaire par an dès 2008. Mises au pied du mur, les confédérations syndicales eurent l’obligation de dévoiler leurs positions. Hélas, même pour un observateur zélé, non seulement il n’est pas aisé de trouver les points de convergence entre les organisations concernées, mais pire encore, il est également très difficile de situer avec précisions les choix propres à chacune.
Certaines, celles-là même qui avaient permis les reculs de 2003, font part de leur accord pour les 41 ans. Néanmoins, elles esquissent une petite gêne et ajoutent « pas tout de suite » !!! Une autre, que je compare à une boule de flipper faisant les quatre coins du jeu, du fait de l’imprécision de ses positions, déclare tour à tour, le blocage des compteurs à 40 ans..., 40 ans c’est déjà trop..., 40 ans ça suffit, pour enfin avouer, par l’expression d’un militant averti au cours d’une émission politique réputée du dimanche après-midi « nous, on est pour les 40 ans »
Enfin, et pour compléter ce tableau surréaliste, celle qui a revendiqué, pendant près d’un siècle, appartenir à la version révolutionnaire du syndicalisme, semble s’orienter vers une position plutôt partenariale de l’économie de marché. Sur la question des retraites, l’abandon des 37,5 ans devient une évidence, le souci majeur de cette organisation étant de confirmer son leadership du syndicalisme français.
Face à cet authentique galimatias, comment croire à une réelle volonté de s’opposer à ce nouveau recul des conditions d’accès à la retraite ? La réponse fut donnée par un syndicaliste ayant participé à la réunion des confédérations qui devaient décider de la journée nationale d’action du 22 mai. A la sortie de la réunion, celui-ci déclara : « on s’est mis d’accord sur la date, après on verra » !!! Les conditions d’une réussite de cette journée de mobilisation étaient donc loin d’être réunies !!! En fait, et pour dire les choses comme elles sont, les technostructures syndicales, peut-être à des degrés divers, ne se sont jamais réellement opposées aux 41 ans de cotisations pour accéder à la retraite. Ce qui revient à dire que, de fait, elles les acceptent.
Et c’est là qu’intervint machiavéliquement, mais hélas efficacement, le gouvernement. En mettant en avant le sous-emploi des seniors il a, en quelque sorte, jeté un os à ronger aux organisations syndicales. L’opération a merveilleusement fonctionné car pendant plusieurs jours des leaders syndicaux se sont médiatiquement exprimés, invoquant un article de la loi de
2003 qui dit en substance que les 41 ans seront décidés dès 2008, sauf si un élément nouveau apparaissait.
Le sous-emploi des seniors fut utilisé comme l’élément nouveau !
Bien évidemment, trop de salariés quinquagénaires sont licenciés. C’est effectivement discriminatoire et scandaleux, mais qui peut ignorer que dans ce contexte économique d’hyper-compétitivité les entreprises considèrent qu’un salarié de plus de 50 ans est plus un handicap qu’un atout ? Il en est ainsi depuis que les directions du personnel ont dû céder leur place aux directions des ressources humaines qui n’ont de cesse de jauger l’employabilité et la rentabilité de chaque salarié.
Avec ce scénario, le gouvernement et son « gentil » Ministre du Travail (clin d’œil à l’émission satirique du soir d’une chaîne cryptée) avaient gagné un peu de temps. Cependant, la situation restait quelque peu dangereuse au soir du 22 mai (journée nationale de mobilisation) car un sondage révélait que 66% des personnes interrogées soutenaient la mobilisation.
Même si l’unité syndicale était d’une grande fragilité et pouvait exploser à tout moment, le gouvernement voulu assurer le coup. Pour ce faire, il jeta un deuxième os à ronger qui pourrait aussi être comparé au lancement d’une boule dans un jeu de quilles.
Depuis quelques temps, le sujet des 35 H était explosif, au point que la dite position commune (qui n’a pas la valeur juridique d’un accord) traitait également de ce sujet, dans la partie des heures supplémentaires.
Les deux seules organisations syndicales signataires de ce texte, en appui à leurs signatures firent une déclaration publique, commune et unitaire, en guise d’avertissement au gouvernement « Ne touchez pas aux 35 H »
Cela suffisait au gouvernement et à sa majorité pour établir un deuxième scénario. Un haut responsable de l’U.M.P. déclara qu’il fallait en finir avec les 35 H, position aussitôt démentie par le Président de la République, mais en fait confirmée par le Ministre en charge de ce dossier qui, pendant cette période, rédigeait, en toute discrétion, un article de loi traitant à son tour des heures supplémentaires.
Il n’en fallu pas plus pour faire réagir les signataires de la position commune qui en profitèrent pour associer ce dossier à celui des retraites dans leur futur combat.
Le gouvernement avait ainsi atteint sa cible : 1 - dévier la motivation syndicale sur un autre sujet que celui des retraites. 2 - faire exploser la fragile unité syndicale.
Au lendemain du 22 mai (journée nationale d’action) toutes les organisations syndicales se retrouvèrent pour examiner les suites à donner.
Ce qui devait arriver arriva, les unes voulurent associer retraites et 35 H, d’autres refusèrent l’association et une proposa la grève interprofessionnelle. Tout ceci dans un contexte de rivalité, de concurrence acerbe, de surenchère et de calculs d’appareils.
Ainsi, seules les signataires de la position commune s’associèrent pour la journée d’action du 17 juin. Les autres tentèrent des opérations de communication sans fondement, sans crédibilité, des opérations cache-misère, loin d’être à la mesure de faire reculer le gouvernement sur le sujet originel des retraites.
Les résultats en demi-teinte de la journée d’action du 17 juin étaient prévisibles, d’autant qu’aucune position claire n’apparaissait dans les revendications. Les échanges de propos aigres-doux avec celles qui avaient refusé de s’associer étaient largement diffusés, évitant ainsi de préciser la nature des revendications.
Les incantations venant de part et d’autre ressemblaient plus à de la provocation, à de la fuite en avant qu’au déploiement d’une stratégie syndicale sérieuse et responsable face aux problèmes posés.
Alors que, vraisemblablement, la question des retraites et des heures supplémentaires sera réglée avant les congés d’été, à quoi rime la menace d’action en octobre et de grève interprofessionnelle ?
Pourquoi attendre octobre ? Est-ce la proximité des élections prud’homales prévues début décembre qui motive ces choix ?
Par ailleurs, les technostructures syndicales seraient bien avisées de mesurer l’impact de l’immobilisme revendicatif qu’elles ont imposé aux salariés, quelques semaines avant le référendum sur le traité constitutionnel européen, au printemps 2005. C’est là que le ressort militant s’est détendu.
Dans ce jeu sordide des communiqués de ce début de juin 2008, on ne peut oublier la stratégie de dernière minute du gouvernement qui, la veille du 17 juin, lança l’idée d’une prime transport à négocier entre les partenaires sociaux, précisant que cette mesure ne serait applicable qu’en octobre. La ficelle est un peu grosse.
Pourquoi faut-il attendre octobre c’est-à-dire, au bas mot, cinq mois ? Alors que certaines organisations faisaient du chèque transport la panacée, pourquoi n’ont-elles pas exigé la mise en place immédiate de ce système qui à ce jour est officiel ?
Le résultat de ce jeu malsain, déconcertant et décourageant, est préjudiciable aux intérêts des salariés car la réforme des retraites va s’appliquer et il y a fort à parier que la loi sur la modification des 35 H ne sera pas très différente de l’article 17 de la dite position commune.
Ainsi le gouvernement et le patronat auront gagné sur tous les plans.
En conclusion de cette pénible situation il devient légitime de s’interroger si, en parallèle de la nécessaire refondation de la gauche, il ne devient pas urgent de reconstruire le syndicalisme français sur les bases fondatrices de la Charte d’Amiens ?
Peut-être ne faudrait-il pas s’interroger trop longtemps ?
Article publié le 22 juin 2008