Le 13ième congrès de la Confédération Européenne des Syndicats (CES) s’est tenu au Palais de la Mutualité à Paris du 29 septembre au 2 octobre.
Si ce qui se dit est vrai, c’est scandaleux !
A l’ouverture du congrès auraient été présents François Hollande, Jean-Claude Juncker, Martin Schulz et Mme Anne Hidalgo.
La coutume et la bienséance veulent que l’ouverture d’un congrès syndical de ce niveau se fasse en présence de l’édile local, très souvent pour remercier la ville de l’accueil réservé aux congressistes.
Ainsi, la présence, à l’ouverture, de Mme le Maire de Paris aurait été conforme et suffisante.
Mais les organisateurs de ce congrès ont certainement voulu que l’ouverture soit à l’image de ce qu’est réellement la CES, un rouage de la néolibérale Union Européenne.
Ainsi, pas étonnant que soient présents trois fédéralistes européens, le Président de la République, le Président du Parlement Européen et le Président de la Commission Européenne.
Dans ces conditions, parler d’indépendance syndicale est une honteuse provocation.
D’ailleurs, dans les milieux syndicaux, pas seulement au niveau européen, évoque t’on encore sérieusement cette valeur, clé de voûte du mouvement ouvrier ?
A cette « table d’honneur » il ne manquait que la chancelière Merkel. Il est vrai qu’avec Martin Schulz, elle était aussi représentée ! Grande coalition oblige.
Nous savions qu’il n’y avait pas grand-chose à attendre de la Confédération Européenne des Syndicats tellement son intégration dans les rouages européistes est importante, mais nous ne pensions pas qu’elle oserait s’affranchir à ce point.
Nous savions que la CES, c'est-à-dire les 90 organisations syndicales qui la composent avaient banni, depuis longtemps, l’indispensable lutte des classes, privilégiant la sacro-sainte collaboration de classes, mais quand même !
En fait, par leur seule présence, chacun de ces trois invités est venu rappeler, aux thuriféraires du partenariat social, le cadre strict au-delà duquel il leur est interdit d’aller.
Pour sa part, le Président Hollande ne pouvait donner dans l’ambiguïté au regard de ses trois années de pouvoir élyséen.
Dès qu’il prit possession des clés de l’Elysée, il réserva sa première visite à la grande prêtresse de la politique récessive, Mme Merkel, pour l’assurer que le changement de locataire de la rue du Faubourg St Honoré ne signifiait en rien un changement de la politique française.
Pour donner crédit à cet acte, son deuxième voyage fut une visite à Athènes pour dire aux dirigeants grecs que la « purge sociale » imposée par la troïka devait être intégralement appliquée.
Dans le domaine de la politique intérieure française, les cadeaux au patronat n’ont jamais atteint un aussi haut sommet que sous la présidence de l’ancien premier secrétaire du parti de la rue de Solférino :
20 milliards d’euros qualifiés de « Crédit Impôts, Compétitivité, Emploi » dont, nous dit-on, Emmanuel Macron, aujourd’hui Ministre de l’Economie et Louis Gallois, ancien président de la SNCF et D’EADS, seraient les géniteurs.
On sait aujourd’hui ce que donne le fumeux « Pacte de responsabilité et de solidarité » :
- un chômage qui ne cesse d’augmenter, + 860.000 chômeurs entre mai 2012 et décembre 2014,
- un blocage des salaires dans la Fonction Publique (gel du point d’indice depuis 2010)
- un blocage des pensions de retraites depuis 3 ans
- et un climat social qui devient délétère
- etc... etc...
L’image donnée par le Président et son Premier ministre, celui-ci qualifiant les syndicalistes, d’Air-France essentiellement de la CGT, de « voyous » situe bien l’état d’esprit de l’exécutif face à la classe laborieuse.
De là à penser que l’expression « les sans dents » n’était pas la conséquence d’une déception amoureuse, mais la révélation d’une pensée profonde, il n’y a qu’un pas que l’on peut désormais franchir allègrement.
C’est effectivement une solide carte de visite pour parader à une tribune syndicale !
Mais celle du Président de la Commission Européenne, Jean-Claude Juncker est suffisamment garnie pour avoir, lui aussi, l’honneur de cette tribune.
En juillet 2013, Jean-Claude Juncker est conduit à présenter la démission de son gouvernement suite à la révélation d’un scandale d’espionnage (mise sur écoutes de responsables politiques) et de corruption concernant son gouvernement et les services de renseignements.
En novembre 2014, la presse révélait, qu’entre 2002 et 2010, le gouvernement du Grand Duché dirigé par Jean-Claude Juncker de 1995 à 2013 avait passé des accords d’évasion fiscale avec 340 multinationales.
Pouvait-il ignorer ces manœuvres frauduleuses ? Certainement pas, d’ailleurs après quelques jours de silence il finissait par admettre sa « responsabilité politique »
Ainsi, la présence de Juncker à la tribune confirmait aux congressistes qu’ils ne devaient pas se faire d’illusion sur le partage des richesses produites, celles-ci étant détournées vers les paradis fiscaux au bénéfice des spéculateurs.
Cela faisait une belle et élégante brochette à la tribune de ce congrès, mais ces « belles âmes » ne se déplaçant que par trois, il fallait y ajouter le Président du Parlement européen, Martin Schulz.
Celui-ci dispose d’un palmarès qui ne peut laisser indifférent les partisans de la réaction.
Membre actif du SPD, parti social démocrate allemand, n’a-t-il pas appuyé Gerhard Schröder à mettre en place au début des années 2000 les lois Hartz, désarticulant le droit social d’outre-Rhin, avec en point d’orgue des taux horaires de travail à 5 € et dans certaines circonstances à 1 € ?
Là aussi, la présence de Martin Schulz éclairait le chemin des congressistes de la CES, concernant le devenir de l’ascenseur social.
Et pour couronner le tout, qui a oublié la venue du pape dans l’hémicycle du Parlement européen à Strasbourg le 25 novembre 2014, sous la pieuse insistance de Martin Schulz qui déclara « Le pape peut rappeler à l’Europe que l’union fait la force », se gardant bien de dire au bénéfice de qui.
Pas au bénéfice des salariés en tous les cas qui essuient un taux de chômage record de 10,2 % (28 pays) et 11,6 % (zone euro) avec des pointes à 22,7 % en Espagne – 14,1 % au Portugal – 25,4 % en Grèce.
Il n’aura échappé à personne que le conditionnel utilisé pour l’introduction de ce texte n’est qu’une coquetterie d’écriture, car en réalité Hollande, Juncker et Schulz étaient bien présents à l’ouverture du congrès de la CES !!!
Il faut donc affirmer, haut et fort, que c’est scandaleux.
D’ailleurs, le nouveau secrétaire général élu à ce congrès n’a pas fait la sourde oreille aux injonctions des fédéralistes européens présents à l’ouverture.
Il déclara « Pour obtenir tout cela (annexer aux Traités un protocole social) nous avons besoin de négocier avec la Commission européenne et avec les gouvernements. Et pour négocier, il faut participer à la gouvernance européenne »
On ne peut pas faire plus collabo. de classes.
Combien de temps encore la Confédération Européenne des Syndicats jouera t’elle cette comédie morbide ?
Autant de temps, disent les mauvaises langues, qu’elle jouit et donc fonctionne sur fonds européens puisque selon la rumeur (semble t’il bien fondée) 75 % de son budget viendrait de la Commission européenne !!!
Combien de temps encore les organisations syndicales françaises (CGT/CFDT/FO/CFTC/UNSA) accepteront t’elles ce funeste positionnement ?
La responsabilité oblige à s’interroger sur l’impuissance à mobiliser les salariés pour s’opposer aux mesures régressives des gouvernements obéissant au doigt et à l’œil du patronat.
Qui peut croire, honnêtement, à cette farce développée pendant le congrès, d’annexion aux traités un protocole social européen contraignant ?
La vérité c’est que le syndicalisme national et européen s’est embourbé, par manque de courage, dans l’ornière européiste, en soutenant de manière plus ou moins claire les orientations néolibérales de l’Union Européenne.
Faire parler les disparus est d’un crédit douteux, mais reprendre in-extenso des déclarations permet de confirmer ses propres analyses.
Ainsi, Marc Blondel, qui fut Secrétaire Général de la CGT FO de 1989 à 2004, écrivait dans un livre publié à titre posthume titré « REBELLE itinéraire d’un militant » :
« Il est probable que demain, plus encore qu’aujourd’hui, le syndicalisme français et occidental, tel que nous le connaissons encore, mourra. Il continuera à exister, c’est certain, mais s’éloignera, peu à peu, de son concept originel, à savoir sa forme exclusivement militante. On peut s’en inquiéter. En effet, je suis convaincu que le militantisme, qui est l’essence même de l’esprit syndical et est garant de son existence, qui est même la condition sine qua non de sa survie, est, aujourd’hui déjà, gangrené par la professionnalisation des « permanents » syndicaux. »
De fait, la technostructure syndicale a pris le pas sur le militantisme de terrain et son organisation pyramidale conduisant au mandat, après débat.
La disparition des grandes entités manufacturières a vidé les syndicats de leurs forces militantes, celles-ci ont été remplacées par des professionnels du syndicalisme.
Or, non seulement la souffrance ouvrière est toujours présente, mais elle s’amplifie dangereusement.
Face au vide syndical, le danger vient d’un glissement de la souffrance et d’une désorientation politique vers des idéologies prônant le rejet de l’autre, le repli sur soi et plus grave encore la xénophobie et l’antisémitisme.
Le syndicalisme, ou ce qu’il en reste, serait bien inspiré d’ouvrir grand les yeux, et de prendre sa part de responsabilité, non pas comme certains en aidant à la dégradation sociale, mais en organisant l’émancipation, préalable indispensable à une préparation au rapport de force.
Nous reviendrons ultérieurement sur la CES, notamment sur son positionnement sur le Traité commercial Europe/Etats-Unis.