Depuis plusieurs mois, le commerce bernayen est en effervescence.
Le commerce local du centre-ville et de la proche périphérie s’inquiète et parfois s’angoisse. Et pour cause.
A l’automne 2014, l’hypermarché Leclerc installé sur la commune de Menneval rendait public son projet d’extension sur des secteurs non alimentaires, le jardinage, le bricolage, les équipements sportifs, l’automobile …
Ces secteurs commerciaux étant présents en centre-ville ou en périphérie, les gérants indépendants et franchisés concernés voient, d’un mauvais œil, cette concurrence surdimensionnée.
Nous ne commenterons pas l’épisode de fin 2014, début 2015, qui a vu l’Union des Commerçants de Bernay exploser, où partisans et opposants à l’extension de Leclerc s’entredéchirèrent.
Cette extension est-elle la conséquence d’un manque de dynamisme du commerce local ? Assurément pas, car d’une manière générale ce qui caractérise le commerce local c’est précisément le dynamisme. Quant à la l’activité visée par l’hypermarché, elle est très présente et la concurrence existe.
Dans cette affaire, Bernay n’est malheureusement pas isolée. La Sous-préfecture de l’Eure est confrontée à ce que beaucoup de villes moyennes subissent depuis plusieurs années.
Dans l’Eure, Vernon mais aussi Evreux doivent affronter une désertification de leur centre-ville au profit des mastodontes commerciaux situés sur des zones périphériques.
C’est un phénomène qui se développe en France, il suffit de parcourir quelques régions pour faire ce constat morbide des centres-villes qui se vident de leurs commerces.
Pour masquer cette misère, on va jusqu’à placarder sur les vitres des magasins désaffectés d’immenses affiches tentant de faire croire que le magasin vit !!!
Pour revenir à Bernay, il y a lieu de s’interroger sur les raisons de cette situation.
La faute incombe t’elle au gérant de l’hypermarché ? Pas du tout.
Le développement de son commerce est une ambition légitime et pour assurer celui-ci il utilise la loi et en particulier le droit commercial.
Tout ce qu’il ya a de plus légal.
En réalité, les raisons de cette situation sont politiques, au sens le plus respectable du terme.
La libre entreprise et le libre commerce sont certainement, dans la communauté des humains, le moins mauvais des systèmes, à la condition que cette liberté soit réglementée.
La liberté du commerce ne peut être assimilable à la liberté du renard de décimer le poulailler.
Or, le dogme européiste de la concurrence libre et non faussée, auquel se réfèrent le maire de Bernay et son premier adjoint, entre autres, conduit à de mortifères dérives.
Quand on laisse l’économie faussement s’autoréguler, « les gros mangent les petits »
Hélas, on ne rencontre pas ce phénomène uniquement dans le commerce de détail.
La crise qui, actuellement, fait rage dans l’élevage agricole n’est que la conséquence de cette funeste règle de la concurrence libre et non faussée.
Comment un éleveur en France, à la tête d’un cheptel de 50 à 80 vaches laitières, peut rivaliser avec les usines de mille vaches et plus, situées en Allemagne et dans certains pays nordiques, d’autant que le lait n’est pas la plus-value recherchée, mais les dividendes produits par la méthanisation ?
Pour revenir à la crise des commerces de centre-ville, il appartient aux hommes et aux femmes politiques, et plus précisément aux parlementaires, de prendre les dispositions qui s’imposent.
Or, au plus fort de la crise qui secoua l’Union Commerciale, le sénateur-maire UDI de Bernay préféra s’en prendre à cette structure associative au moment de son plus grand désarroi et au gérant de l’hypermarché qui n’aurait pas respecté un deal, l’installation d’un point culturel en ville !!!
Quant à son adjoint en charge des finances et des affaires économiques, son vote de refus à la Commission Départementale d’Aménagement Commercial n’est pas suffisant.
On ne peut à la fois pousser les feux à Bruxelles de l’économie libre et non faussée et faire les étonnés des résultats néfastes sur le terrain.
Les politiques, théoriquement chargés de l’intérêt général, doivent abandonner leur dogmatisme pour privilégier le pragmatisme.
Lesdites commissions d’aménagement commercial, qu’elles soient départementales ou nationales, sont des instances trop permissives à la surenchère politicienne et aux lobbyistes.
Les bisbilles à fleuret moucheté auxquelles se sont livrés en octobre 2015 les édiles de Menneval et de Bernay sont la preuve de l’inefficacité de ces commissions.
Quant au lobbyisme, celui-ci a démontré de quoi il était capable avec le dossier du Village des Marques à Douains (secteur situé entre Vernon et Pacy-sur-Eure.
Plusieurs fois rejeté en commission départementale, le projet a finalement été validé par la commission nationale.
Difficile de croire que les lobbyistes de tout poil n’ont pas été à la manœuvre.
Même si ce dossier est de volume commercial différent de celui de Bernay, le rôle des commissions d’aménagement commercial est identique.
Pour la zone de Douains, pas moins de sept réunions de commissions (départementale et nationale) ont été nécessaires, étalées sur quatre années, pour donner satisfaction au promoteur.
Mais c’est la réflexion de celui-ci au lendemain de la séance du 6 mai 2015 qui laisse songeur.
Celui-ci déclarait « Je suis ravi ! Hier, durant les débats, on s’est aperçu de la qualité de nos élus. Ils ont tous été excellents »(La Dépêche d’Evreux 8/05/2015)
Que faut-il décrypter derrière ce message en forme de brosse à reluire ? D’autant que selon le journaliste « le sénateur Hervé Maurey et le député Franck Gilard (étaient) venus en escadrille défendre le projet » !!!
S’il fallait une preuve supplémentaire que ces commissions d’aménagement commercial, qu’elles soient départementale ou nationale ne sont que des lieux d’opportunisme politicien et de lobbyisme affairiste, désormais nous l’avons.
Si la volonté politique est d’organiser l’aménagement commercial des territoires dans le respect des forces en présence, il est urgent de mettre fin à ce système dont les vainqueurs sont le plus souvent ceux qui ont de gros moyens financiers.
Le plus efficace consisterait à établir des cartes de zones de chalandises calquées au plus près des bassins de vie et de fixer sur ces périmètres des surfaces maximum pour la grande distribution.
Cela mettrait fin aux politiques à géométrie variable.
Car si nous en restions à ces pratiques, nous nous exposerions à deux problèmes majeurs.
1 – Que deviendrait l’attractivité touristique d’un centre-ville d’une cité qualifiée « d’Art et d’Histoire » dont des vitrines seraient badigeonnées de blanc ou recouvertes de gravures ?
Comment attirer des touristes dans de telles conditions ?
2 – Enfin, il y a une incidence plus profonde encore.
Faire ses emplettes dans un commerce indépendant, c’est apporter du pouvoir d’achat au commerçant et à sa famille qui, immanquablement, l’utilisera, au moins en grande partie, dans le commerce.
On appelle cela le circuit de l’économie réelle ou, pour faire moderne, l’économie circulaire.
Or, l’argent « déposé » dans un hypermarché n’utilise pas le même circuit.
L’objectif principal est de rémunérer au plus les actionnaires qui se moquent totalement de l’entité commerciale, support de leur acte spéculatif.
Seul le taux de rémunération leur importe, mais pour faire quoi ? Le plus souvent pour opérer de l’optimisation fiscale, y compris en recourant aux paradis fiscaux.
C’est la financiarisation de l’économie qui globalement conduit à un chômage de masse et à la paupérisation de nos sociétés.
Enfin, abordons la question du stationnement en centre-ville.
Quoi que fassent les pouvoirs publics, cette question est insoluble.
L’effort doit être porté sur les personnes à mobilité réduite mais, tant que les consommateurs voudront stationner leur véhicule sur le paillasson du commerçant, le problème perdurera.
La pérennité du commerce en centre-ville est bien évidemment une responsabilité politique. Mais pas seulement.
Le consommateur ne peut s’exonérer de sa responsabilité de citoyen.
Un peu de marche pour faire ses courses peut aussi jouer un rôle dans sa propre condition physique, d’autant qu’à Bernay, des parkings sont disposés aux quatre coins du cœur de ville.
Protéger le commerce local est un acte salutaire, à bien des égards.