Nous avons, collectivement, le devoir de nous interroger sur les raisons d’un tel déchainement de violence.
Contrairement à ce qu’affirment des raisonnements simplistes, constatons que les individus qui se livrent à ces violences ne sont pas tous des écervelés, bien au contraire. Et pas davantage des gens venus d’ailleurs comme les autorités tentent de nous le faire croire.
Les interviews (trop rares) réalisées en Off par des radios et des télévisions montrent que ces personnes, souvent de jeunes adultes, se livrent à ces actes violents après de longues années de luttes sociales où la seule réponse qui leur fut opposée estl’humiliation.
Parmi ces personnes interviewées on a constaté, par exemple, des employés de banques !
Du côté des forces de maintien de l’ordre, faire comme si tout était limpide serait coupable.
Les forces de Police et de Gendarmerie sont indispensables dans une République ou s’exerce la liberté d’opinion et de manifestation, mais on ne peut ignorer la diversité politique des hommes et des femmes qui exercent ces missions de service public.
Parfois les sensibilités individuelles peuvent se mêler à la mission à exercer.
On ne peut également être naïf au point d’ignorer que le pouvoir politique peut être tenté d’utiliser ces forces républicaines au service partisan de sa politique.
Comment expliquer la violence policière commise le 2 juin sur la rocade de Rennes dont des journalistes et des caméramans ont été victimes alors qu’ils ne faisaient que leur travail d’interviewers et de preneurs d’images pour réaliser un reportage ?
Alors, pourquoi en sommes-nous arrivés là ?
Au fil du temps, la situation sociale et politique s’est progressivement dégradée.
Depuis ce fameux tournant de la rigueur de 1983 les seules réponses à la demande sociale furent l’humiliation du monde ouvrier.
Tout d’abord, on lui fit croire que pour « rester dans le coup » économiquement, notre pays devait restructurer son appareil de production vieillissant et pour cela abandonner les activités autres que celles du cœur de métier.
En réalité, le pouvoir politique, toutes tendances confondues, n’a eu de cesse de déménager l’industrie française.
A l’époque, dans les milieux politiques et patronaux on expliquait qu’il fallait remplacer l’industrie par le tourisme.
Le tissu industriel se réduisit à vue d’œil, les friches industrielles se multiplièrent.
Les statistiques de pertes d’emplois et de fermetures de sites donnent le vertige.
Ce fut l’entrée en matière d’une vaste escroquerie sociale qui, bien évidemment, perdure aujourd’hui encore.
Pendant de nombreuses années, les réductions massives d’effectifs et les fermetures d’entreprises se déroulèrent dans le cadre d’un scénario bien rôdé.
Les salariés âgés partaient avec une indemnité assez conséquente et la vue d’une retraite proche amoindrissait leur combattivité.
Les jeunes imaginaient qu’avec l’énergie de la force de l’âge, la perspective d’un nouvel emploi était à portée de main.
Ces périodes furent et sont toujours honteusement qualifiées de « Plan social »
Ainsi, au fil du temps, l’emploi, qualifié ou non, se faisant de plus en plus rare, l’espoir a fait place à la déception et aujourd’hui l’angoisse et la révolte s’installent face à un futur très inquiétant.
A la lecture de plusieurs sondages, n’est-il pas angoissant d’apprendre qu’une immense majorité de la jeunesse n’a plus foi en l’avenir, considérant que ses conditions d’existence d’adultes seront inférieures à celles des générations précédentes ?
Comment ne pas parler d’humiliation ?
Le secteur de l’emploi n’est pas isolé dans cette vaste entreprise d’humiliation du monde du travail.
La protection sociale issue du Conseil National de la Résistance est également dans l’œil du cyclone néolibéral.
En août 1993, profitant des vacances d’été, le sieur Balladur, alors Premier ministre, portait un coup terrible au pouvoir d’achat du régime général des retraites en faisant passer le calcul des années de référence des 10 aux 25 meilleures.
Le verrou avait sauté, enchaînant sur les réformes de 1995, 2003, 2010 et les autorités expliquent encore aujourd’hui qu’il faudra allonger la durée de cotisations pour avoir une retraite pleine et entière.
L’escroquerie tient dans les motifs annoncés : ces réformes sont indispensables pour sauver notre système par répartition, clament les gouvernements néolibéraux.
Foutaise, bien évidemment, mais humiliation assurément, puisque ces reculs sociaux plongent des retraités dans la précarité et plus particulièrement des femmes seules.
Hélas, le peuple français n’est pas le seul à subir l’humiliation.
Elle est encore plus insupportable pour les peuples grecs, espagnols, irlandais, italiens, entre autres.
En Grèce, les salaires ont perdu environ 25 % de pouvoir d’achat, de même que les pensions de retraite et les allocations sociales. Les hôpitaux n’ont plus les moyens de soigner convenablement les malades. Les taux de suicides explosent etc... etc...
Cette « purge » économique, et surtout sociale, imposée aux hellènes par la Banque Centrale Européenne, la Commission Européenne et le Fond Monétaire International, aggravée par l’intransigeance du gouvernement allemand dont le Ministre des Finances fait figure de pointe avancée, est ignoble.
L’humiliation suprême se fait concrète quand un consortium allemand se porte acquéreur de 14 aéroports grecs et quand le port du Pirée est bradé aux chinois.
Pour humilier un peuple, on ne fait pas mieux.
Le peuple espagnol est lui aussi humilié.
La crise qu’il subit tient à l’éclatement de la bulle immobilière de 2009.
Nombre de propriétaires ont dû abandonner, à grands frais, leur appartement, leur maison, leur résidence, faute de pouvoir faire face aux échéances.
Depuis quelques années, ils voient des étrangers, dont des français, acquérir « leur » appartements, « leur » maison, « leur » résidence parfois situés en bord de mer, à des prix cassés.
N’est-il pas humiliant de voir des « rapaces » tournoyer dans le ciel de la misère sociale, organisée par la cupidité de la finance mondialisée ?
La jeunesse espagnole qui subit un chômage de plus de 50 % ne voit d’autres recours que de fuir son pays.
Entre juin 2011 et mars 2013, 360.000 jeunes âgés de 16 à 29 ans pour la plupart diplômés ont été contraints de quitter leur pays. Lors d’une grande manifestation, leur slogan était « On ne part pas, ils nous virent »
On pourrait allonger la liste des actes d’humiliation auxquels le monde du travail est confronté, mais il est inutile d’en rajouter pour comprendre l’ampleur et les dangers du phénomène.
Cependant, comment ne pas condamner l’infamie commise par deux tristes personnages français : le président du MEDEF, Pierre Gattaz et l’éditorialiste Franz-Olivier Giesbert ?
En plein conflit sur la loi El-Khomri, le premier qualifia la CGT de « voyous », de « terroristes », de « dictature stalinienne » et comme pour obtenir la palme de l’ignominie le deuxième compara la CGT à Daech considérant que l’organisation syndicale recourt aux « mêmes armes » que l’organisation terroriste !
Ces gens là sont des pyromanes.
Ils ne se rendent même pas compte, à moins, et ce serait encore pire que ce que l’on pourrait penser, qu’ils agissent sciemment dans le but de détruire la République pour y substituer un régime autoritaire.
Pour notre idéal démocratique et républicain, la pratique de l’humiliation des peuples a des effets dévastateurs incommensurables.
Dans toute l’Europe, les idéologies d’extrême droite, rhabillées en populisme, progressent partout.
Même en Allemagne et en Grande-Bretagne, là où il n’y a pas si longtemps, les dirigeants fanfaronnaient au cri de « nous ne constatons pas ce phénomène, chez nous » la bête immonde s’installe !
Les pays nordiques, dont certains de nos intellectuels vantent le modèle social, sont en proie, eux aussi à l’extrême droite.
Comment peut-il en être autrement quand, par exemple, en Finlande le gouvernement envisage d’amputer de 30 % la rémunération des congés payés ?
Dans plusieurs pays du Nord et de l’Est de l’Europe, les majorités gouvernementales sont constituées à l’aide de partis racistes et xénophobes. Les pontes de Bruxelles font les gros yeux à Viktor Orban, 1er Ministre hongrois, pour ses travers nationalistes, mais ne vont guère au-delà du froncement de sourcils !!!
En Autriche, en mai dernier, la victoire à la présidentielle échoua, de peu, à l’écologiste qui était opposé à un candidat d’extrême droite.
La victoire fut si courte que la cour constitutionnelle recensa des anomalies la conduisant à annuler le résultat du 22 mai. Un prochain scrutin est prévu pour l’automne.
En Espagne, depuis fin 2015, il n’y a plus de majorité parlementaire.
Les élections législatives du 20 décembre dernier n’ayant pas donné de coalition majoritaire, un deuxième scrutin fut programmé le 26 juin. Celui-ci ne débloqua pas davantage la situation politique. L’Espagne en est à son 8ième mois sans majorité parlementaire.
En Italie, la situation n’est guère plus enviable.
Les partis traditionnels peinent à constituer des majorités stables et durables.
Le Mouvement cinq étoiles dirigé par le comique Beppe Grillo accueille les voix des italiens déboussolés.
Aux dernières élections municipales du 19 juin, les listes du Mouvement cinq étoiles emportèrent les élections à Rome et à Turin. Cette poussée du Mouvement cinq étoiles pourrait fragiliser le chef du gouvernement Matteo Renzi lors d’un référendum prévu en octobre prochain pour valider une importante réforme constitutionnelle.
Pour ce qui est de la Grande-Bretagne, son option référendaire du 23 juin trouble le jeu des néolibéraux européens.
Quant à notre cher hexagone, l’avenir n’est pas davantage rassurant.
L’échéance de 2017 se présente sous des angles risqués.
Les candidatures potentielles de droite penchent très à droite au point de faire de Margareth Thatcher la référence.
Quant aux socialistes, sortis « lessivés » de ce quinquennat calamiteux, la probabilité de figurer au 2ième tour relève du miracle.
Ainsi, la République sociale et laïque est incontestablement en grand danger.
Faire confiance à la classe politique pour sortir notre pays de ce bourbier relève de l’utopie ou de la paresse.
Elle n’a pas tiré les leçons des humiliations imposées au peuple allemand dues au Traité de Versailles signé en 1919, alimentant la montée du fascisme en Allemagne puis en Europe et la prise du pouvoir par les nazis, outre-Rhin en 1933 !!!
Au cœur de l’actuelle période de congés annuels, la grande question est de savoir dans quel état sera la classe sociale à la rentrée ?
Aura-t-elle suffisamment de conviction et d’énergie pour remettre en route la mécanique d’opposition à la loi El Khomri, symbole français de cette humiliation dont nos dirigeants sont si friands.
Le monde du travail français n’est pas isolé dans ce combat.
Nombre de pays européens sont engagés dans la légalisation du dumping social.
Les travailleurs italiens sont confrontés au « job act », les belges s’opposent à la sœur jumelle de la loi El Khomri.
Toutes ces lois ont un dénominateur commun, le néolibéralisme de l’Union Européenne.
Or, il existe une structure européenne censée défendre la dignité des salariés, la Confédération Européenne des Syndicats.
Hélas, son silence est étrange et inquiétant. Il confine au bout du compte à la complicité !
En fait, pour dire les choses clairement, elle laisse faire, se limitant à quelques déclarations de principe qui ne font pas trembler les thuriféraires de l’économie libre et non faussée.
Combien de temps encore les organisations syndicales françaises organisatrices de l’opposition à la loi El Khomri accepteront cette duperie ?
Membres de cette pseudo-organisation syndicale européenne, elles ont les moyens d’en faire un véritable outil de classes.
On ne peut enfiler le bleu de chauffe de la lutte de classes à Paris, inviter les salariés à battre le pavé dans les villes de France et s’accommoder de la collaboration de classe, soigneusement élaborée dans les salons bruxellois !